Art ancien - Art moderne

XIXE SIÈCLE

Les bonnes feuilles d’Orsay au Palais Lumière d’Évian

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2022 - 804 mots

ÉVIAN

Choisies pour les correspondances qu’elles tissent entre elles, près de deux cents feuilles glanées dans la collection du musée parisien racontent une histoire de l’imaginaire des artistes.

Évian-les-Bains.« Vertigineuse » et « née du hasard », « un puzzle immense », « un continent qui reste à découvrir »… C’est ainsi que Leïla Jarbouai, conservatrice en chef des arts graphiques et peintures au Musée d’Orsay et commissaire de l’exposition, présente la collection de quelque 55 000 dessins de plus de 6 000 artistes que compte le cabinet des Arts graphiques du musée. De ces dessins d’Orsay, pour la plupart rarement, voire jamais, présentés au public, elle a sélectionné 180 feuilles de 70 artistes dont elle a voulu montrer le lien qu’ils ont tissé entre réel et imaginaire. Elle invite le visiteur à un voyage « qui surcharge de beauté la vie usuelle », selon les mots écrits par Gaston Bachelard dans L’Air et les Songes. Sensible et poétique, le parcours en cinq étapes qu’elle trace privilégie les associations thématiques et formelles, loin des genres picturaux et des écoles.

Après un prologue où apparaissent notamment des études de mains d’Edgar Degas, Eugène Carrière et Alphonse Legros, la première section, « Derrière les paupières », s’intéresse à la fascination des artistes pour l’œil, ouvert ou fermé sur l’infini intérieur, le rêve parfois. Le modèle de Ma mère de Charles Angrand (1899), un portrait saisissant au crayon Conté, est perdu dans ses pensées et la liseuse endormie de Gustave Courbet (1849) se trouve à la fois soustraite et offerte au regard – la scénographie, qui donne à voir la feuille à travers une ouverture, amplifiant cette ambivalence. Dans un tout autre genre, Mineur endormi du Belge Constantin Émile Meunier (1884-1899) représente sans pathos un homme fourbu plongé dans un sommeil sans rêve. Cette section permet de découvrir des œuvres de deux Britanniques évoluant dans le groupe préraphaélite, Simeon Solomon et Violet Manners, duchesse de Rutland.

« Expériences oniriques du paysage » s’ouvre sur l’énigmatique Explorateur perdu, dit aussi L’Hiver de Lucien Lévy-Dhurmer(1896). La couleur apparaît largement dans cette section qui mène d’une montagne rose de Gustave Doré au Sous-Bois délicat de Paul Cézanne (vers 1882-1884) en passant par des études de ciel d’Eugène Boudin, Félix Joseph Barrias et Lévy-Dhurmer. Mais le noir est aussi une couleur : presque abstrait, un monotype d’Edgar Degas, Paysage de Bourgogne (1890) fait écho à Étang dans une combe, un fusain non daté d’Auguste Emmanuel Pointelin et des fermes isolées de L’Incendie du Catalan Joan González Pellicer, dit González (vers 1902-1906) et de Sur la route de Georges Seurat (vers 1881-1882) suinte une inquiétante étrangeté. Figures symbolistes, les arbres de Maria Sergeevna, dite Marie Botkine (Paysage d’automne, non daté) et de József Rippl-Rónai (Un parc dans la nuit, 1892-1895) s’enveloppent de mystère.

Le ton de la section suivante, « Par monstres et merveilles », est donné avec Tête dans un corps d’araignée d’Odilon Redon (sans date), un artiste très présent dans l’exposition. Les merveilles, ce sont celles de Gustave Moreau dont la Bethsabée (1886-1890), sous le regard prédateur de David, s’entoure de joyaux et d’oiseaux multicolores. Dans La Mort et le Fossoyeur (1895-1900), Carlos Schwabe a peint à la gouache un autre oiseau magnifique, l’ange de la mort qui ravit le vieillard sur lequel se penche un saule. Une petite salle est consacrée à Léopold Chauveau que le Musée d’Orsay a récemment mis en lumière dans une exposition monographique.

Peintres et musique

Bâtie autour de l’illustration, la sélection suivante, intitulée « Au fil des pages », permet de découvrir un aspect méconnu de la carrière de Luc Olivier Merson sur lequel le Musée d’arts de Nantes avait mis l’accent en 2018 dans une exposition-dossier. Illustrateur remarquable, celui-ci a travaillé entre autres sur Macbeth de Shakespeare (vers 1915-1917) et Les Trophées de José-Maria de Heredia (entre 1895 et 1907). Le symboliste Carlos Schwabe a été inspiré par Le Rêve d’Émile Zola (1891) et Marie-Louise Amiet par la Légende de saint Julien l’Hospitalier de Gustave Flaubert (non publié, années 1910) dont on retiendra particulièrement un lavis rehaussé de blanc évoquant la gravure sur bois, Saint Julien l’Hospitalier conduisant le lépreux sur la rivière. Enfin, « De la musique avant toute chose » évoque les liens étroits que certains artistes ont entretenus avec la musique, tels Henri Fantin-Latour et Édouard Manet, mais aussi l’architecte François Garas, auteur d’une série de projets de construction dont le poétique Temple à la pensée, dédié à Beethoven, vue en cours de construction (entre 1897 et 1914). Pierre Bonnard, beau-frère du compositeur Claude Terrasse, a travaillé à l’affiche du ballet La Légende de Joseph de Richard Strauss (Projet d’affiche pour l’Opéra : Légende de Joseph, 1914). La partition a été commandée à Strauss par Serge de Diaghilev pour les Ballets russes, mais la tournée n’a jamais eu lieu en raison du déclenchement de la Première Guerre mondiale qui marque aussi la fin de la période couverte par le Musée d’Orsay.

Les arpenteurs de rêves. Dessins du musée d’Orsay,
jusqu’au 1er novembre, Palais Lumière, quai Charles Albert-Besson, 74500 Évian-les-Bains.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Les bonnes feuilles d’Orsay au Palais Lumière d’Évian

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