Artisanat d'art - Danse & Théâtre

Les bijoux de scène de la Comédie-Française

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 25 octobre 2023 - 1026 mots

S’ils brillent de mille feux, ils ne sont souvent que de la pacotille. Mais leur intérêt historique en fait des trésors, que présente une très intéressante exposition.

Tout ce qui brille n’est pas or. L’adage n’a jamais été aussi véridique que sous les feux de la rampe. Temple de l’illusion et de l’esbroufe, les planches sont de fait le royaume du toc ! Qui l’eût cru ? Les plus belles parures portées par les vedettes adulées du Tout-Paris se résument en effet le plus souvent à de la verroterie. Les cabochons de verre coloré se font passer pour des pierres précieuses, tandis que des rivières de strass copient les diamants et que de modestes alliages imitent les métaux les plus convoités. Objets fondamentalement utilitaires conçus pour être vus de loin et parfois mis à contribution comme ingrédients à part entière de l’intrigue, les bijoux de scène sont ainsi rarement des objets de prix. À l’exception des pièces de joaillerie qui provenaient de la cassette personnelle des comédiens et actrices. Il était de bon ton, en effet, d’exhiber ces accessoires de prestige afin de souligner sa réussite sociale. A fortiori quand il s’agit de cadeaux de puissants admirateurs. Signe de sa consécration internationale, l’immense tragédienne Rachel a par exemple reçu un bracelet d’un prix exorbitant de la part de Napoléon III, un magnifique bijou en diamant des mains de la reine Victoria, mais aussi des joyaux du tsar Nicolas Ier. Parallèlement à ces hommages somptuaires, l’impératrice du théâtre romantique se voit aussi coiffée d’une couronne de laurier. Un bandeau en argent doré offert par ses admirateurs lyonnais qui avaient lancé une souscription pour honorer leur idole lors de sa tournée d’adieu triomphale.

DU FAUX POUR ÉVITER LES CAPRICES DE STAR

Cette coiffe, dessinée par les membres de l’École des beaux-arts de la capitale des Gaules, a grandement participé à la construction de la légende de cette vedette du Théâtre-Français et marque aussi un tournant dans l’émergence du star-system. Un phénomène qui culmine à la fin du siècle avec la divine Sarah Bernhardt, littéralement couverte de pierreries par ses fans. Cette mode occasionne parfois des anachronismes, à l’image de Wanda de Boncza arborant un superbe collier Art nouveau alors qu’elle incarne Adrienne Lecouvreur, dans l’opéra du même nom, soit un personnage situé sous le règne de Louis XV ! Pour éviter les caprices de stars, et face au besoin croissant de bijoux spectaculaires pour caractériser des personnages et nourrir des intrigues, les accessoiristes généralisent le recours au faux. Les bijoux de pacotille triomphent en effet dès le XIXe siècle, conséquence logique de l’engouement sans précédent pour l’histoire, et donc de la recherche de vérité historique et géographique dans les costumes et les parures. L’explosion du nombre de salles de spectacle et le besoin en accessoires éblouissants suscitent ainsi une production presque industrielle de bijoux. Mais paradoxalement, ces objets sans valeur commerciale ont pris avec le temps une valeur patrimoniale et documentaire. Car, contrairement aux bijoux de prestige, ils n’ont pas été remodelés et témoignent donc des techniques anciennes de joaillerie. Une mine d’or pour les spécialistes, qui explique que l’École des arts joailliers ait choisi de puiser dans la malle à trésors de la Comédie-Française pour inaugurer de mille feux son tout nouvel espace d’exposition.

Les atours de Rachel

Étoile de la Comédie-Française, Rachel a joué dans toutes les grandes productions de son temps ; ses bijoux témoignent donc logiquement de la nature utilitaire de ces objets. À l’image de cette barrette de corail qui peut être adaptée sur un autre peigne.

Une drôle de couronne syrienne

Difficile à croire mais cette couronne a été portée par Cléopâtre, non pas la reine d’Égypte mais celle de Syrie dans Rodogune de Corneille. Sa forme extravagante avec ses pics surmontés de perles soufflées souligne l’obsession pour le pouvoir du personnage.

Une broche de la divine Sarah

Impossible d’aborder ce sujet sans penser aux exceptionnels bijoux de la Divine. Les accessoires de Sarah Bernhardt comptent en effet parmi les plus spectaculaires, toutes époques confondues. À la différence notable que la star n’a pas porté que du toc. Bien au contraire, elle a même arboré des bijoux d’une grande préciosité, à l’image de cette broche en or et émeraudes signée René Lalique. Le bijou est parlant car il est formé des allégories de la comédie et de la tragédie encadrées d’une palme.

Une véritable reconstitution historique

Les bijoux permettent de caractériser un personnage au premier coup d’œil , à l’instar de l’impressionnant pectoral porté par Mounet-Sully pour son rôle de grand-prêtre du temple de Jérusalem, dont les 12 pierres de couleur chatoyantes symbolisent les tribus d’Israël. Considéré comme le premier élément de costume documenté, il a nécessité un grand travail préparatoire, puisque l’artisan qui l’a créé a puisé son inspiration dans les descriptions bibliques, mais aussi dans l’iconographie ancienne.

Un bijou chevaleresque

Célèbre décoration médiévale, le collier de la Toison d’or est un accessoire de théâtre très prisé à l’époque romantique. Ce modèle a d’ailleurs été dessiné par l’un des principaux artistes de ce courant, Louis Boulanger, et il a été porté notamment dans Hernani.

La tête dans les étoiles

Ce diadème en toc adopte un dispositif caractéristique de la haute joaillerie : les tremblants. Les étoiles en verre sont en effet montées sur des ressorts afin que le mouvement de celle qui porte le bijou les fasse trembler et accentue le scintillement.

Le serpent, motif très à la mode

Symbole du destin et du drame, le motif du serpent devient totalement incontournable dans les bijoux de théâtre à partir du mitan du XIXe siècle. Des reptiles métalliques viennent ainsi s’enrouler autour des bras et des poignets des plus belles tragédiennes.

Un cadeau impérial

« Talma, nous faisons l’histoire. » L’inscription figurant sur le coffret de la couronne de laurier offerte par Napoléon au comédien donne la mesure de l’admiration que l’Empereur vouait à François-Joseph Talma, star du théâtre parisien. Une fascination telle qu’il lui offrit une réplique de la couronne portée lors de son sacre pour célébrer le triomphe de l’interprète de Néron dans Britannicus. Cette pièce témoigne de manière éclatante des liens entre pouvoir et divertissement, et de la naissance du vedettariat.

À voir
« Bijoux de scène de la Comédie-Française »,
jusqu’au 4 février 2024, École des arts joailliers, 16 bis, boulevard Montmartre, Paris-9e, lecolevancleefarpels.com

L’exposition « Bijoux de Scène » a été reportée pour des raisons techniques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°769 du 1 novembre 2023, avec le titre suivant : Les bijoux de scène de la Comédie-Française

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque