Artisanat d'art

Les arts passent à table

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 2 mars 2021 - 887 mots

À Sèvres, Lens et Paris, trois expositions projettent de retracer les arts de la table, leur esthétisation comme leur utilisation, signe de pouvoir.

Longtemps considérés comme une production mineure, les arts de la table bénéficient d’un retour en flamme de la part des amateurs comme des institutions. Preuve en est la multiplication des expositions consacrées à ce sujet. Ce printemps, rien qu’en France, trois manifestations explorent l’incroyable richesse de ce pan des arts décoratifs. Le Musée national de la céramique, le Louvre-Lens et la Galerie Aveline (Paris) mettent ainsi en lumière un patrimoine d’une diversité inouïe, forgé au fil des siècles afin d’accompagner un rituel social constitutif de notre art de vivre. Au point, d’ailleurs, que le repas gastronomique des Français est inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Une distinction qui recouvre autant les pratiques alimentaires que les manières de table et le luxe conféré aux arts de la table. Faïence, porcelaine, cristal, mais aussi orfèvrerie occupent en effet une place prépondérante depuis l’Ancien Régime.

Si aujourd’hui les repas sont synonymes de convivialité et de plaisir, ils étaient à l’époque de véritables dispositifs de mise en scène du pouvoir. Le protocole régissant le déroulé des repas comme la nature et la fonction des ustensiles. Tout comme les couverts, les assiettes et les ustensiles existent depuis des temps immémoriaux ; ces objets prennent à cette époque une place plus importante parallèlement à l’évolution des pratiques alimentaires. Les tables des grands de ce monde se couvrent alors d’une multitude d’objets d’un raffinement exquis qui participent au faste de la cour.

En marge des pièces en métal précieux, les faïences, porcelaines et biscuits se taillent la part du lion et les inventions formelles et stylistiques se succèdent à un rythme effréné. Des terrines extravagantes, en forme d’oiseau, de chou ou de sanglier, sont par exemple façonnées pour renfermer des mets délicats. Tandis que des pots à oille font leur apparition pour tenir au chaud des ragoûts et que la vaisselle se décline pour embrasser les nouvelles modes exotiques tels le chocolat, le thé et le café. Inévitablement, les us royaux sont imités par la noblesse, elle-même copiée à son tour par la bourgeoisie. Au XVIIIe siècle, pour répondre à cet engouement et ce désir de luxe, les manufactures tournent à plein régime dans la France, de Sèvres à Limoges en passant par Rouen et Strasbourg.

Ces ancêtres des industries du luxe mettent à profit le talent des grands artistes du royaume qui fournissent des modèles inédits, notamment Boucher et Falconet, pour ne citer que les exemples les plus célèbres. Cette esthétisation du repas ne concerne évidemment à l’époque pas toutes les classes de la société. Mais ce n’est qu’une question de temps, car on le sait peu, mais c’est au XVIIIe siècle que prend forme notre couvert moderne composé de plats, assiettes, soupières et surtout assortis. Si le style s’est depuis épuré et que les matières sont devenues moins nobles, les formes, elles, n’ont en revanche guère évolué.

Nef de table (au Louvre Lens)

Objet spectaculaire digne d’un cabinet de curiosités, la nef était une pièce d’apparat que l’on retrouvait très fréquemment sur les tables royales et aristocratiques de la Renaissance. Car cette pièce n’avait pas qu’une fonction décorative, elle jouait aussi un rôle très prosaïque mais crucial : protéger une personnalité éminente contre l’empoisonnement. Ses couverts et ses effets personnels étaient ainsi regroupés et protégés à l’intérieur de la nef et seul son propriétaire avait le droit de l’ouvrir !« Les tables du pouvoir », Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62). Tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 à 10 €. Commissaires : Zeev Gourarier, Michèle Bimbenet-Privat, Hélène Bouillon, Alexandre Estaquet-Legrand, Christine Germain-Donnat, Marie Lavandier. www.louvrelens.fr


Tasses Cobéa (chez aveline)

À partir du XVIIIe siècle, le registre floral s’invite dans les arts de la table, avec une prédilection pour les tasses imitant la forme des fleurs. Au siècle suivant, l’engouement pour les fleurs exotiques se transpose dans ces étonnantes tasses figuratives. À l’instar de cette pièce inspirée de la cobée, vraisemblablement inventée par Alexandre Brongniart, le mythique directeur de Sèvres. Elle connut un succès si fulgurant qu’elle fut presque immédiatement copiée par la manufacture KPM à Berlin.« Les petits plats dans les grands. Le design au service de la table », Galerie Aveline, 94, rue du Faubourg-Saint-Honoré-Place Beauvau, Paris-8e. Du lundi au samedi de 10 h à 19 h. Entrée gratuite. aveline.com


Service de Madame Du Barry (à Sèvres)

Or blanc du siècle des Lumières, la porcelaine est un signe de distinction sociale. Commander un service constitue alors un luxe inouï, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une création inédite. En 1770, Madame du Barry commande ce service de 322 pièces à la manufacture de Sèvres. Ce service est doublement pionnier car il est le premier réalisé à Sèvres à porter le chiffre de son commanditaire et l’un des tout premiers à arborer un décor néoclassique. Tout un symbole pour la maîtresse conspuée de Louis XV.« À table ! Le repas, tout un art », Musée national de la céramique, 2, place de la Manufacture, Sèvres (92). Tous les jours sauf le mardi de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Tarifs : 6 à 8 €. Commissaires : Charlotte Vignon, Anaïs Boucher et Viviane Mesqui. sevresciteceramique.fr

« Les tables du pouvoir », Musée du Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62). Tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 à 10 €. Commissaires : Zeev Gourarier, Michèle Bimbenet-Privat, Hélène Bouillon, Alexandre Estaquet-Legrand, Christine Germain-Donnat, Marie Lavandier. www.louvrelens.fr

« Les petits plats dans les grands. Le design au service de la table », Galerie Aveline, 94, rue du Faubourg-Saint-Honoré-Place Beauvau, Paris-8e. Du lundi au samedi de 10 h à 19 h. Entrée gratuite. aveline.com

« À table ! Le repas, tout un art », Musée national de la céramique, 2, place de la Manufacture, Sèvres (92). Tous les jours sauf le mardi de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Tarifs : 6 à 8 €. Commissaires : Charlotte Vignon, Anaïs Boucher et Viviane Mesqui. sevresciteceramique.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Les arts passent à table

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