L’artiste allemand, au vocabulaire minimal centré autour du pollen, de la cire et du riz, déploie son univers spirituel à la Fondation Beyeler, près de Bâle.
RIEHEN (BÂLE) - On ne ressort jamais intact d’une exposition de Wolfgang Laib. Non que cela soit incompréhensible ou perturbant, bien au contraire. On l’achève toujours avec le cœur léger, sinon avec le sentiment d’avoir oublié, ne serait-ce que quelques instants, les vicissitudes du monde alentour. La vaste rétrospective que propose la Fondation Beyeler, à Riehen, près de Bâle, n’y coupe pas.
Le parcours débute par la première œuvre de Laib, Brahmanda, une grosse pierre taillée de couleur noire, sculpture réalisée en 1972 et que l’artiste conserve d’habitude précieusement chez lui, dans sa maison du lac de Constance. On dirait un énorme œuf, lisse et impénétrable. La pièce doit sûrement peser très lourd, et son poids semble pourtant s’être évanoui. C’est là l’un des points forts de l’œuvre de Wolfgang Laib. Cet artiste, né en 1950 à Metzingen (Allemagne), bouleverse les lois de la gravité, rend aérienne une masse, ou, a contrario, concrète une matière négligeable. Comme il le fait, par exemple, pour ses Champs de pollen, dont on peut voir ici deux beaux spécimens : l’un conçu avec du pollen de pissenlit, d’un jaune ocre très mat, l’autre, plus grand, avec du pollen de noisetier, d’un jaune d’or cette fois très brillant. Ce pourrait être de « simples » carrés méticuleuse-ment dessinés au sol avec ladite substance, or ces pièces graciles prennent soudain de l’épaisseur, une consistance. Elles sont lumineuses. À y regarder de trop près, on pourrait presque plonger dedans. On pense à Malevitch et à James Turrell. Idem avec cette Pierre de lait, mince plaque de marbre de forme rectangulaire posée à même le sol, et dont la partie supérieure a été légèrement évidée pour pouvoir recueillir une fine couche de… lait. Le liquide, en recouvrant parfaitement la surface, donne toute sa force à l’œuvre. Lait et bloc de marbre se fondent alors en une seule et même pièce, à la brillance rare. Le lait est changé tous les jours. L’opération est une partie inhérente de l’œuvre et lui donne l’aspect d’un rituel. En filigrane sourd aussi l’idée d’un lait « nourricier ».
Le travail de Laib est empreint d’une profonde spiritualité, qui trouve sa source autant en Occident qu’en Orient, et en Inde en particulier, où l’artiste a effectué de nombreux séjours. En témoignent ici moult esquisses en couleurs et des photographies en noir et blanc. Avec l’utilisation du riz, Laib évoque l’offrande, à travers, cette fois, des séries d’œuvres. Ainsi en est-il de Repas pour neuf planètes – neuf petits cônes de cuivre bordés de tas de riz –, de Maisons de riz – des blocs de marbre taillés en forme de maison et cernés de riz – ou de Repas de riz – vingt et une coupes en laiton remplies chacune d’un monticule de riz à l’exception d’une « garnie » de pollen. Le plus étrange, c’est la manière avec laquelle Laib brouille l’échelle des choses : les minuscules monticules de riz ou de pollen peuvent soudain paraître des montagnes invincibles…
Ascension spirituelle
Si les pièces les plus récentes, recouvertes de laque de Birmanie (un Escalier et une Chambre), séduisent moins, celles que l’artiste revêt de cire d’abeille depuis la fin des années 1980 sont
toujours aussi impressionnantes. Juchés sur des liteaux de bois, les Bateaux évoquent avec force le voyage, sans doute l’ultime traversée, d’ailleurs. Dommage que cette œuvre ait été placée en dehors de l’exposition, qui plus est juste en face de la boutique du musée, ce qui lui confère un aspect décoratif qu’elle n’a à l’évidence pas à l’origine. En revanche, sa Chambre de cire, créée pour l’occasion ex nihilo et baptisée Ailleurs. La Chambre des certitudes, s’avère puissante. L’intérieur est intégralement tapissé de panneaux de cire odorante disposés à la manière d’opus incertum. À l’instar d’une sépulture taillée dans le roc – en regard est accrochée la photographie d’une tombe prise par Laib à Palmyre, en Syrie –, on y pénètre presque comme dans un lieu sacré. L’espace invite à la méditation. Dans une salle contiguë, Wolfgang Laib a installé deux Ziggourats, sculptures monumentales et archétypales habillées elles aussi de cire d’abeille. Les marches s’élèvent vers le plafond et la métaphore est limpide : ces deux pièces étroites et hautes nous incitent tout bonnement à nous élever. Ascension spirituelle ? On en a décidément bien besoin ces temps-ci.
Jusqu’au 26 février 2006, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen (Bâle), tél. 41 61 645 97 00, www.beyeler.com, tlj 10h-18h (jusqu’à 20h le mercredi)
- Commissaires : Philippe Büttner et Ulf Küster - Installations/sculptures : 18 - Dessins : 18 - Photographies : 10
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : L’éphémère éternel de Wolfgang Laib