Biennale

Léger et monumental

Par Jean-Louis Gaillemin · L'ŒIL

Le 1 octobre 2004 - 708 mots

Un grand Léger à la Fiac ? Non à la Biennale, chez Philippe Denys, qui portait haut, avec Pierre Passebon, les Vallois, Down Town, Patrick Seguin, le pavillon du XXe siècle.

Impressionnant par sa taille, ce Fernand Léger nous rappelle l’intérêt de l’artiste pour le monumental. « La Grandeur de Léger » avait lancé Jean Cassou lors de l’exposition de 1972 au Grand Palais. Léger voyait grand et haut et n’avait jamais dédaigné les décors, de films (L’Inhumaine avec Mallet Stevens pour Marcel
Lherbier), de pavillons éphémères (en 1925 pour une ambassade française autant que pour Le Corbusier, plus tard pour l’exposition de 1937 et pour la Triennale de Milan en 1951), de ballets, de maisons (pour Nelson D. Rockefeller, Fifth Avenue à New York en 1934). Lors de son retour en France en 1945, il reprend son activité de décoration : mosaïque pour l’église d’Assy. La découverte de la céramique en 1950, date à laquelle il monte un atelier à Biot, montre que la voie du monumental est aussi bien tracée. En 1952, il reçoit la commande d’un panneau pour la grande salle de l’ONU à New York. La même année il est sollicité par le Salon des arts ménagers au Grand Palais à Paris.

L’ampleur de la surface à peindre sous-entend une collaboration de l’atelier comme l’indique la signature : « Atelier F. Léger G. Bauquier ». Bauquier était chef d’atelier, à la mort de son maître, il épouse Nadia Petrovna, une ancienne élève également. Ces grands panneaux se font en famille sur une esquisse de l’artiste, à la gouache sur papier. La réalisation, à la peinture synthétique sur des plaques de fibrociment, matière moderne qui ne pouvait qu’épater (pour reprendre un mot de l’époque) Léger, amateur de modernité et d’urbanité. Et pas seulement pour les grands formats. Comme Picasso à Antibes, Léger aime le grain du fibrociment qui rappelle le papier Canson, idéal pour le fusain, la sanguine, la gouache et même la peinture à l’huile. Le répertoire des œuvres monumentales de l’après-guerre est souvent issu des œuvres pour chevalet des années 1930, repris avec une grande maîtrise et liberté. Comme Léger le disait lui-même : « J’ai dispersé mes objets dans l’espace et je les ai fait tenir entre eux tout en les faisant rayonner en avant de la toile. Tout un jeu facile d’accords et de rythmes fait de couleurs de fond et de surface, de lignes conductrices, de distances et d’oppositions. »

La Composition à l’atelier faisait partie d’un ensemble de trois compositions commandées à Léger par son ami Paul Breton pour décorer le Salon des arts ménagers en 1952. Ce Salon, bien loin de se cantonner aux mixers et autres gadgets de la maîtresse de maison moderne, était un véritable salon de l’art de vivre. Il accueillait et faisait cohabiter le Salon Formes utiles (fondé par l’Union des artistes modernes, UAM), le Salon des artistes décorateurs et un Salon des antiquaires, ancêtre de notre actuelle Biennale des antiquaires. C’est au Salon des arts ménagers que le MoMA de New York présente les chefs-d’œuvre de sa collection de design dans les années 1940.

La Composition à l’atelier reprend des motifs déjà élaborés dans les années 1930, mais l’ensemble des motifs est pris dans un mouvement de destructuration qui fait définitivement exploser les notions de représentation, d’intérieur, de chevalet, d’espace. Comme pour mieux s’adapter à une échelle monumentale, les motifs s’éparpillent, retenus par la seule volonté de l’artiste : « L’objet est vraiment le “sujet” de mon tableau de chevalet. J’ai pris l’objet, j’ai fait sauter la table, j’ai mis cet objet dans l’air, sans perspective, sans support. » La Composition à l’atelier joue avec brio avec ces motifs qui impliquaient déjà la désintégration de la nature morte dans les petits formats. La table, le tableau, la fenêtre et le châssis, l’arbre réel ou figuré, les volets qui s’ouvrent sur la fiction restent en suspens. Peinture de chevalet transposée en grand format, traitement en aplat qui laisse flotter la couleur à la surface du panneau, rien ne pèse dans ce panneau qui flottait à Biennale dans un cadre de lumière. Rien, dans ce monumental, n’empêchait les objets d’argenterie, verreries et autres céramiques du marchand bruxellois de donner leurs notes subtiles comme à l’accoutumée.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : Léger et monumental

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