La Fondation Van Gogh à Arles met à l’honneur la collection Herzog et retient de rares photographies d’ouvriers et de paysans.
Arles. Ruth et Peter Herzog comptent parmi les plus importants collectionneurs au monde de photographies anciennes. La photographie du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle domine la collection du couple suisse. Le monde du travail et les développements technologiques jusqu’aux premières images de la Lune réalisées en 1964 en forment l’axe central. Les plus grands noms de cette période côtoient des auteurs méconnus ou anonymes. Le contenu de l’image prime sur le nom de l’auteur. « Ruth a été l’élément déclencheur », relate Peter Herzog ; leur première acquisition est une photographie de femmes filant sur une terrasse, dénichée aux puces de Zürich en 1974. « Lorsque Ruth m’a montré cette image anonyme, j’ai immédiatement été passionné par ce qu’elle contenait ou suscitait en histoires. » Aujourd’hui la collection du couple suisse recense plus de 600 000 tirages. « Ce qui nous intéresse dans la photographie, c’est ce qu’elle dit de nos sociétés, de la modernisation et du quotidien des gens durant cette période, en particulier sur le travail des femmes, des enfants, des paysans et des ouvriers, peu représentés dans les premières décennies de l’histoire de la photographie », explique Peter Herzog.
Les quelque 137 vintages choisis par la commissaire Bice Curiger offrent des images rares, parfois troublantes, telle cette photographie réalisée entre 1900 et 1910 de mannequins vivants posant dans une vitrine de magasin de mode, ou celle de ces enfants apprenant à recycler des matériaux sous la dictature mussolinienne. La société industrielle, la mécanisation et le développement du chemin de fer et de l’automobile se racontent en images, l’exploitation de l’individu, son dénuement et le labeur du monde paysan s’y lisent, tandis que la course à l’armement entraîne la reconversion des usines. Ces images sont associées au fil du parcours à des points de vue d’artistes contemporains, mais aussi à des ex-voto provençaux étonnants datés du début du XXe siècle et relatifs à des accidents du travail ou de la circulation, pour une réflexion plus globale sur la représentation du travail.
Yuri Pattison filme ainsi à l’envers un espace de coworking. Le peintre Liu Xiaodong dénonce dans ses tableaux les conditions de travail des Ouïghours employés à l’extraction de jade blanc au nord de la Chine. Thomas Struth délivre dans ses grands formats photographiques une vision métaphysique des espaces d’expérimentation du Conseil européen pour la recherche nucléaire. Le monde de la finance ou des pétrodollars saisi par Andreas Gursky et une tête de pelleteuse revisitée par Cyprien Gaillard se font écho. La juxtaposition entre ces pièces et les photographies de la collection de Ruth et Peter Herzog sait éviter le déséquilibre visuel. Ces dernières sont toutefois si prégnantes dans leur contenu qu’elles constituent un récit à part entière au sein de l’accrochage global.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Le travail, d’hier à aujourd’hui