Les dessins de Pierre Klossowski rassemblés au Musée d’Ixelles déploient l’imaginaire érotique de l’artiste. À l’instar de son frère Balthus, il trouve dans le récit érotique la possibilité de libérer un imaginaire qui, aux yeux de certains, passe pour \"crapuleux\".
BRUXELLES - Une centaine d’œuvres venues de collections privées et de musées européens retracent le parcours singulier de Pierre Klossowski. Chaque dessin est un récit. Klossowski revendique hautement cette aptitude au discours qui fait la marque de l’œuvre. Philosophe et romancier, Klossowski trouve dans le dessin une autre forme de présence qui, sans échapper à l’action ni à la narration, dévoile spontanément les acteurs de sa perversité.
Cette présence singulière ne peut en aucun cas être interprétée comme une déviation des textes mêmes de Klossowski. Au contraire, l’image semble s’être imposée, avant toute histoire, comme une présence énigmatique que le texte aura pour mission de déchiffrer. Le lecteur est doublement voyeur : voyeur de l’image, nécessairement démonstrative, et voyeur d’une action licencieuse qui lui reste interdite.
Dans l’atmosphère feutrée du musée qui, pour respecter les normes de conservation, renforce – involontairement ? – l’intimité coupable de ces scènes de luxure, les dessins frappent par leur format. La figure obsessionnelle de Roberte, la femme rencontrée et épousée au sortir de la guerre qui devient l’emblème des fantasmes de l’écrivain comme du peintre, y trouve une puissance envoûtante.
Un théâtre de vices
Klossowski est un idolâtre de la chair. Son érotisme n’a rien de pacifique. Il ne recherche pas l’apaisement mais repose au contraire sur une esthétique de la résistance que l’homme et le crayon devront contraindre. Le corps ne s’abandonne qu’au terme d’une lutte : viols et harcèlements se multiplient, non sans douceur. Chaque victime semble consentante, et le plaisir n’est que l’avers d’une douleur transcendée. L’artiste donne à ses visions l’évidence démonstrative de mises en scène théâtrales. Chaque personnage devient ainsi l’emblème de ses aspirations profondes. Leurs oppositions comme leurs rencontres témoignent de tensions intérieures qui veulent que l’image, au-delà de tout récit, conduise à interroger la réalité des êtres aux prises avec le désir.
L’exposition, sobrement mise en scène, fait de chaque spectateur un intrus qui assiste en voyeur impuissant au développement de l’image. On regrettera que le catalogue, d’une austérité désarmante et d’une mise en page frigide, ne rende ni l’éclat, ni la sensualité de l’imaginaire de Klossowski.
PIERRE KLOSSOWSKI, Musée d’Ixelles, jusqu’au 28 avril, du mardi au vendredi de 13h à 19h, samedi et dimanche de 10h à 17h, entrée 200 FB. Catalogue publié chez Ludion, diffusé par Flammarion, 112 p., 1 200 FB.
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Le théâtre 'crapuleux' de Pierre Klossowski
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°24 du 1 avril 1996, avec le titre suivant : Le théâtre 'crapuleux' de Pierre Klossowski