Depuis quelque temps, Roger Ballen décline son univers dans de vastes installations dépassant le simple cadre de l’exposition de ses photographies.
La Halle Saint-Pierre, à Paris est actuellement le cadre de sa plus grande rétrospective à l’étranger. À la Centrale, à Bruxelles, son monde convoque au préalable une correspondance artistique inattendue avec Ronny Delrue, du moins pour ceux qui ne connaissaient pas le projet entamé par l’artiste belge avec cinq artistes de continents différents dans la lignée du dialogue avec Christine Remacle (1967-2014), artiste handicapée mentale. Cet ensemble de correspondances construites sur le principe d’exprimer artistiquement la pensée de l’autre vient d’ailleurs de faire l’objet d’une exposition de Ronny Delrue au S.M.A.K., à Gand, qui s’est achevée le 19 janvier. À Bruxelles, le focus sur la correspondance avec Roger Ballen est la partie la plus intéressante de l’exposition. Le photographe a en commun avec Ronny Delrue d’avoir mené différents travaux avec des patients en hôpital psychiatrique. L’évocation par chaque artiste de l’univers de l’autre aboutit à un face-à-face de dessins et de photographies d’où émane surtout le positionnement de chacun vis-à-vis de son médium d’expression et ses usages. En un minimum de moyens (une ligne, une couleur), Delrue suggère une attitude, une pensée, un état, « une image mentale qui vient de l’intérieur », précise-t-il. Dans les compositions photographiques de Roger Ballen nées de cet échange, rien de tel. Il émerge un sur-jeu de son esthétique ballenesque trop appuyé pour qu’on y adhère. On a le même sentiment devant l’installation in situ qui suit et qui se résume à des rangées de fauteuils de théâtre occupés de manière anarchique par des mannequins disloqués et installés face à une scène où se produit un orchestre tout aussi déglingué. Face à cette interprétation éculée du théâtre de l’absurde, on trouve, dans les photographies plus anciennes, les films et vidéos de ce qui fait, ou fit, la quintessence et la singularité de l’œuvre de Roger Ballen.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Le sur-jeu de Roger Ballen