Douze ans après l’exposition « Laurent de La Hyre », un autre peintre majeur du Grand Siècle occupe les cimaises du Musée de Grenoble, Eustache Le Sueur (1616-1655). Un accrochage intelligent d’une cinquantaine de tableaux, accompagnés d’autant de dessins, retrace le cheminement de l’artiste d’une peinture voluptueuse héritée de Vouet à une ascèse tempérée par la fraîcheur du coloris.
GRENOBLE - La publication en 1987 du catalogue raisonné d’Eustache Le Sueur par Alain Mérot avait achevé de restituer une image exacte de l’artiste, malmenée par la postérité. Bien sûr, le peintre n’est pas un inconnu, loin s’en faut ; plus d’une quarantaine de ses toiles figurent au Louvre. Toutefois, leur dispersion dans les salles à vocation thématique empêche une vision globale et cohérente de son art, vision que rend justement possible l’exposition du Musée de Grenoble. Du sensualisme de la Vénus endormie surprise par l’Amour à l’ascétique Messe de saint Martin, elle met en évidence sa quête d’un idéal de grâce et de simplicité qui ne suit pas nécessairement un chemin linéaire, soumise qu’elle est à la diversité des formats, des commanditaires et des thèmes, religieux ou historiques. À côté des Muses de l’hôtel Lambert, les deux toiles représentant Junon, peintes pour l’alcôve d’Anne d’Autriche au Louvre, expriment une perfection plus froide dans laquelle Alain Mérot veut voir une incidence du caractère officiel de la commande.
D’autres confrontations sont riches d’enseignements, et plus particulièrement celle des quatre tableaux appartenant au cycle peint entre 1636 et 1643, d’après le Songe de Poliphile, le roman ésotérique de Francesco Colonna. De la composition dynamique et virtuose des Dieux marins rendent hommage à l’amour à l’organisation symétrique, au sein d’une architecture épurée de Poliphile s’agenouille devant la reine Éleuthérilide, cet ensemble, dont la réalisation fut vraisemblablement concédée par un Simon Vouet débordé, donne à voir le tournant décisif opéré par Le Sueur. Il est rare que la chronologie des œuvres puisse être restituée uniquement sur des critères stylistiques. Le “style sévère” qui s’annonce dans Poliphile commence de se mettre en place avec Saint Pierre ressuscitant la veuve Tabithe, même s’il faut nuancer cette expression tant l’extraordinaire fraîcheur du coloris et la diversité de la palette atténuent l’austérité et la rigueur de certaines compositions. Dans la délicate Sainte Famille de Norfolk, “à l’exception du manteau de la Vierge, tous les tons sont rompus”, observe Alain Mérot, rappelant que le comte de Caylus avait surnommé Le Sueur “le peintre des passions douces”. Certes, il fut emporté en pleine maturité, mais la Messe de saint Martin, placée en conclusion du parcours, n’en marque pas moins l’aboutissement de sa recherche de l’harmonie dans le dépouillement et la simplicité.
Le Sueur et Poussin
Historiens et critiques, pesant les mérites respectifs de Le Sueur et Poussin, ont souvent fait du premier un simple émule du second et, à travers lui, de Raphaël. Si le peintre de la Vie de saint Bruno n’a jamais fait le voyage d’Italie, il a pourtant assimilé la leçon des Carrache par l’intermédiaire de Vouet. Étude de détails, notamment de drapés dans le rendu desquels il excellait, de figures isolées, mise au point de compositions d’ensemble, les remarquables dessins préparatoires à des tableaux ou à des ensembles décoratifs réunis à Grenoble illustrent les différentes étapes du processus créatif selon la méthode popularisée par les Bolonais. Pour la fameuse Prédication de saint Paul à Éphèse, il avait réalisé deux modelli. Dans le tableau livré à Notre-Dame de Paris, la scène de charité située à l’arrière-plan, à droite, a disparu : “Là où Poussin développe, Le Sueur simplifie”, analyse Alain Mérot. L’esprit français, en quelque sorte.
- EUSTACHE LE SUEUR (1616-1655), jusqu’au 2 juillet, Musée de Grenoble, 5 place de Lavalette, 38000 Grenoble, tél. 04 76 63 44 44, tlj sauf mardi et 1er mai 11h-19h, le mercredi jusqu’à 22h. Catalogue, RMN, 204 p., 150 ill., 190 F. À lire aussi le catalogue raisonné d’Alain Mérot, réédité par Arthéna.
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Le Sueur, un peintre français
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Le Sueur, un peintre français