Des Hauts-de-France à Montréal, en passant par Fontainebleau, Napoléon Bonaparte est partout mis à l’honneur. 9 clés pour comprendre le style apparu pour glorifier la politique de l’Empereur.
1 - La légende en marche
Arras - Fin communicant, Napoléon a judicieusement su tirer profit de l’image pour imposer son pouvoir. Cette propagande artistique portera ses fruits, même après ses revers politiques et son exil, car de nombreux artistes continueront à produire des œuvres dont il est le héros ou, du moins, le sujet principal. Cette omniprésence a largement participé à l’écriture de sa légende. Deux ans à peine après son décès, la parution du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases relance l’intérêt pour Napoléon et ranime le culte de sa personnalité pour un certain nombre d’admirateurs. Ce phénomène s’accentue à partir de 1840, lors du médiatique retour des cendres. La sculpture naturaliste de Vincenzo Vela s’inscrit dans ce contexte de retour en grâce du personnage. Cette œuvre, qui reçut un accueil favorable à l’Exposition universelle de 1867 à Paris, a d’ailleurs été acquise par son neveu l’empereur Napoléon III. Preuve de son succès, elle a également fait l’objet de multiples réductions en bronze. Ce marbre propose une image inédite de Napoléon, car le conquérant cède la place à un souverain déchu et à l’agonie.
2 - Les influences variées
Montréal - Contrairement à ce que l’on imagine, le néoclassicisme n’a pas été le seul mouvement ayant droit de cité sous l’Empire. Si la référence à l’antique a été très présente, certains artistes ont toutefois puisé leur inspiration dans d’autres sources, comme le Moyen Âge et les mythes nordiques. Le superbe tableau peint par Ingres pour la chambre de l’Empereur au palais romain de Monte Cavallo évoque ainsi Ossian, un héros alors très à la mode. L’Europe entière se passionne pour ce guerrier-barde gaélique dont les mystérieux poèmes auraient été redécouverts et traduits par l’écrivain écossais James Macpherson à la fin du XVIIIe siècle. Il s’agissait en réalité d’une supercherie littéraire, d’un faux moderne. La découverte de la duperie n’enraya toutefois pas l’engouement pour cet univers nouveau et son esthétique inédite qui tranchait avec l’anticomanie ambiante. Gérard livra ainsi un grand tableau du barde, tandis que Lesueur composa un opéra sur ce thème qu’il dédia à Napoléon. Passionné par les poèmes du barde, le général Bonaparte avait d’ailleurs largement contribué à leur popularité.
3 - Luxe et Anticomanie
Montréal - Le règne de Napoléon Ier a accompagné une floraison inouïe de tous les arts. Le retour de la stabilité politique et de la prospérité rend à Paris son statut de capitale du luxe. La manufacture de Sèvres connaît alors une période particulièrement faste, en raison des innombrables commandes passées pour les résidences impériales, les cadeaux diplomatiques et les étrennes offertes par le couple impérial. Sous la houlette de son directeur, Alexandre Brongniart, la manufacture connaît un véritable âge d’or, notamment pour la porcelaine qui se décline alors sous toutes les formes et s’orne de décors extrêmement variés. L’un des thèmes les plus plébiscités demeure cependant la référence à l’antique, dont les héros et les césars incarnent les valeurs de l’Empire. Ce sont ainsi naturellement Alexandre et Auguste, deux des modèles de Napoléon, qui figurent sur les glacières du service qu’il offre à son oncle, le cardinal Fesch, en commémoration du baptême du roi de Rome. Le décor de ce service dit « iconographique grec » est directement inspiré des célèbres planches de l’archéologue Visconti.
4 - Sur le champ de bataille
Arras - Fer de lance de la communication impériale, pour ne pas dire de la propagande, les scènes de champs de bataille tiennent une place considérable dans la production artistique. Chaque année, au retour de ses campagnes, Napoléon commande des tableaux commémorant les grands faits militaires et diplomatiques des récentes opérations. Afin d’assurer la diffusion de ce message politique, les œuvres sont présentées au Salon puis accrochées dans les principales résidences impériales, notamment aux Tuileries et à Trianon. Elles seront ensuite installées dans les Galeries historiques de Versailles. Certains de ces tableaux comme le Bivouac de Wagram ont largement participé à écrire la légende impériale. Bien que son auteur ne soit pas très célèbre, ce tableau est devenu une des icônes de l’imaginaire napoléonien. L’artiste y représente un chef de guerre s’accordant quelques instants de repos après avoir changé en pleine nuit ses plans de bataille et donné ses consignes d’attaque. Généraux et soldats regardent avec admiration ce génial héros rendu quasi divin par le feu de camp illuminant la scène.
5 - Une nouvelle dynastie
Montréal - Ayant instauré un régime héréditaire, Napoléon devait donner un successeur à l’Empire. N’ayant pas d’enfant avec sa première épouse Joséphine, la question de la succession impériale devint donc épineuse. Alors qu’il se pensait stérile, l’Empereur découvrit la naissance d’un fils illégitime. Afin d’assurer sa succession, il décida de divorcer et d’épouser l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise de Habsbourg. La postérité a d’ailleurs retenu sa formule guère élégante au sujet de sa jeune épousée : « Je cherche un ventre. » Son vœu fut rapidement exaucé, car elle donna naissance en 1811 à un fils titré « roi de Rome ». Afin d’asseoir la légitimité de sa descendance et de pérenniser sa dynastie par l’image, Napoléon fit portraiturer l’enfant à de nombreuses reprises et s’assura que ces tableaux figurent en bonne place au Salon. Le tableau de Franque se distingue par sa composition et sa tonalité. Bien que l’impératrice ait revêtu son costume de sacre, la scène n’est pas pompeuse mais tendre. Elle emprunte même certains codes à la mythologie antique en représentant l’enfant en Amour endormi.
6 - Étiquette et apparat
Montréal - Soucieux de se rallier l’ancienne noblesse en empruntant ses rites et d’inscrire sa nouvelle dynastie dans les fastes de l’Ancien Régime, Napoléon rétablit une stricte étiquette. Ce cérémonial, régissant tous les aspects de la vie officielle du souverain et de la cour, concerne évidemment les repas, exercices de représentation par excellence. Le grand couvert, réservé aux événements majeurs, comprenait le protocole le plus élaboré ainsi que la vaisselle d’apparat la plus spectaculaire. Lors des grands banquets officiels, la table se parait ainsi d’objets luxueux réalisés par les meilleurs orfèvres de la capitale, à savoir Odiot, Biennais et Auguste. Le service le plus célèbre de l’Empire est assurément le Grand Vermeil, un somptueux service offert à Napoléon par la Ville de Paris à l’occasion de son sacre. Sa valeur pécuniaire, artistique et symbolique, était d’ailleurs telle que l’ensemble fut remis à l’Empereur lors d’une fête donnée à l’Hôtel de Ville. On ne connaît aujourd’hui plus qu’une vingtaine de pièces appartenant à ce service qui compta un millier d’objets et d’ustensiles.
7 - Le népotisme légitimé par les arts
Arras - Dès ses premières victoires militaires, Napoléon a renversé les souverains étrangers et installé sur leurs trônes des membres de sa famille. L’Empereur assume complètement ce népotisme et entend instaurer une nouvelle dynastie : les Napoléonides. De la même manière qu’il a cherché à légitimer son pouvoir par les arts, Napoléon fait portraiturer ses frères et sœurs par les meilleurs spécialistes du genre, notamment Gérard. Outre ces grands portraits solennels, les artistes ont également immortalisé cette famille hors norme dans des tableaux plus intimistes à l’image de la toile de Ducis. Loin d’être simplement une sympathique réunion familiale, cette toile porte un puissant message politique. L’Empereur arbore l’habit de colonel des chasseurs, ce qui signifie qu’il a conquis son pouvoir grâce à ses faits d’armes et à sa stratégie militaire. Autour de ce Napoléon paternel gravitent ses neveux et nièces qui constituent la succession impériale aux quatre coins de l’Europe. Afin de ne laisser aucun doute sur l’avenir de ces enfants, Ducis a représenté Lucien Murat jouant avec de petits soldats.
8 - Faste et grandeur
Arras - La fameuse expression de l’architecte Pierre Fontaine résume parfaitement le style Empire : « La beauté selon l’Empereur ne réside que dans la grandeur. » De fait, son règne a été placé sous le signe de la grandeur, du luxe et de l’apparat. Pour signifier sa majesté, le nouveau régime prend ainsi ses quartiers dans les anciennes résidences de la Couronne. Palais et châteaux sont alors restaurés, décorés et remeublés. Tapisseries, soieries, objets d’art et meubles précieux, rien n’est trop somptueux pour donner du lustre à l’Empire. Le duo d’architectes Percier et Fontaine, mais aussi l’ébéniste Jacob-Desmalter et le bronzier Thomire, pour ne citer que les plus célèbres, inventent un mobilier extrêmement raffiné et inspiré de l’antique. Ce nouveau style décoratif rencontre un franc succès à travers toute l’Europe. La splendide table-console exécutée pour l’Élysée par Jacob-Desmalter incarne la quintessence du style Empire. Bien que ses formes soient simples et symétriques, ce meuble brille par la richesse de ses matériaux et l’élégance de son décor évoquant les caryatides de l’Acropole.
9 - Le portrait impérial
Montréal - En 1804, Bonaparte, Premier consul, devient Napoléon Ier, empereur des Français. Pour légitimer ce nouveau régime héréditaire, il se fait sacrer comme les souverains de l’Ancien Régime. Cette fastueuse cérémonie est immortalisée par David, tandis que François Gérard forge l’image du souverain. Véritable instrument de communication, ce portrait en costume de sacre, exécuté en série, conjugue les codes de la monarchie avec les symboles du nouveau régime. Napoléon, qui déclara en toute modestie « Je n’ai pas succédé à Louis XVI mais à Charlemagne », prit ainsi soin de se parer d’un manteau, non pas fleurdelisé, mais semé d’abeilles, l’emblème de l’illustre Carolingien. Autre exemple, le grand collier de la Légion d’honneur, distinction créée par Napoléon, remplace l’ordre du Saint-Esprit, tandis que sa tête est ceinte de lauriers à l’antique et non d’une couronne monarchique. Toutefois, l’atmosphère solennelle ainsi que certains détails, comme le trône, l’estrade et le drapé cramoisi, évoquent instantanément la majesté des portraits des Bourbons. À commencer par celui de Louis XIV par Rigaud.
Expositions autour de Napoléon en région Hauts-de-France courant 2018, notamment au Musée de Boulogne-sur-Mer, au Musée des beaux-arts de Cambrai, au château d’Hardelot à Condette, à la Maison de la faïence à Creil, à la bibliothèque Marceline Desbordes-Valmore à Douai et au Musée de la tour abbatiale à Saint-Amand-les-Eaux.
« Napoléon. Art et vie de cour au palais impérial »,
jusqu’au 6 mai 2018. Musée des beaux-arts, 1380, rue Sherbrooke Ouest, Montréal, Canada. Du mardi au dimanche, de 10 h à 17 h, le mercredi jusqu’à 21 h. Tarifs : 15 à 23 €. Commissaire : Sylvain Cordier. www.mbam.qc.ca
« Napoléon. Images de la légende »,
jusqu’au 4 novembre 2018. Musée des beaux-arts, 22, rue Paul-Doumer, Arras (62). Du lundi au vendredi, sauf le mardi, de 11 h à 18 h, le week-end de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 et 7,50 €. Commissaires : Frédéric Lacaille et Marie-Lys Marguerite. napoleon.versaillesarras.com
« Napoléon stratège »,
du 6 avril au 22 juillet 2018. Musée de l’Armée, Invalides, Paris-7e. Du lundi au vendredi de 10 h à 18 h, le mardi jusqu’à 21 h, et jusqu’à 19 h le week-end. Tarifs : 12 et 10 €. Commissaires : Émilie Robbe, Grégory Spourdos et Hélène Boudou-Reuzé. www.musee-armee.fr
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Le style Empire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°710 du 1 mars 2018, avec le titre suivant : Le style Empire