PARIS - Le Musée des Arts décoratifs, à Paris, a décidé de s’attaquer à une tâche qui, signe des temps, paraît aujourd’hui ambitieuse : proposer des expositions destinées à faire avancer la recherche. Ainsi de ce premier épisode, dont on espère qu’il ne restera pas sans suite, consacré à un sujet ardu et peu vendeur, les symboles du pouvoir sous le Ier Empire.
Figure historique adulée ou haïe, Napoléon n’est, en effet, jamais un sujet facile à appréhender. L’histoire du goût sous son règne ne l’est pas davantage et le style Empire, massif et pompeux, paraît plus que jamais démodé. Passé au crible de l’analyse, il révèle pourtant sa richesse et nous livre maints enseignements sur la fabrication d’une iconographie politique. « Le sujet symbolique de l’ornement est rarement étudié dans le domaine des Arts décoratifs, contrairement à la peinture ou la sculpture, souligne Odile Nouvel-Kammerer, commissaire de l’exposition. Or, il apporte une approche presque anthropologique qui permet de comprendre les mentalités d’une époque ».
En ce sens, la période du Ier Empire se prête parfaitement à l’exercice, tant elle a été décisive dans l’invention d’une iconographie impériale française, puisant ses racines non seulement dans l’Antiquité, mais aussi dans la tradition monarchique et républicaine, forgeant un curieux syncrétisme. Le tout a de plus été théorisé dans une source incontournable sur le style Empire : le Recueil de décorations intérieures concernant tout ce qui a rapport à l’ameublement (1812), dû aux architectes de l’empereur, Charles Percier et Pierre-François Fontaine. Dans cet ouvrage – présenté dans l’exposition par un document audiovisuel –, les deux hommes vilipendent les modes ruineuses et fixent un dogme de l’ornement répondant strictement à la fonction de l’objet. Ce qui ne signifie pas pour autant l’évacuer totalement. « Percier et Fontaine créent un système décoratif qui fonctionne comme un langage savant, poursuit Odile Nouvel-Kammerer. Ils n’inventent rien mais structurent un discours ».
Le parcours de l’exposition, déployée dans la grande nef, suit donc une sorte de crescendo qui porte la démonstration. La qualité des prêts accordés à l’institution témoigne de l’intérêt des musées pour ce type d’exposition, qui renouvelle sans conteste la vision du style Empire. La visite débute par le mobilier fonctionnel et dépouillé du héros militaire Bonaparte, puis analyse un à un les emblèmes de Napoléon empereur, soigneusement choisis afin d’asseoir la légitimité du nouveau souverain dans le contexte post-révolutionnaire. Ainsi de l’aigle des empereurs romains, préféré au coq gaulois, jugé trop vulgaire, et de l’abeille, adoptée en référence aux abeilles du roi Childéric et donc à la lignée mérovingienne. Ils seront ensuite enrichis par le laurier, la palme, le bouclier, le trophée…, autant de symboles des victoires militaires. Dès le sacre de 1804, la grande nef de l’empereur (dépôt du Mobilier national au château de Fontainebleau), qui reprend les rituels de table hérités du Moyen Âge consistant à ranger sous clef, dans une pièce d’orfèvrerie, les épices et les couverts royaux, illustre avec emphase ce curieux mélange. L’exposition révèle aussi la redoutable efficacité du système de Percier et Fontaine. Très rapidement, cette iconographie purement politique et militaire s’insinue dans les objets quotidiens de l’élite. Il est d’usage d’orner les candélabres et les bras de lumière de figures de Mars et Minerve, devenus les symboles de la victoire de la lumière sur la nuit. « Ces thèmes glissent alors dans l’inconscient collectif, et, paradoxe, deviennent à leur tour une simple mode », note la commissaire. Mais un contre-pouvoir s’affirme malgré tout : celui de la séduction et des frivolités, véhiculée par les thèmes apolliniens chers à Napoléon, et dont le sens se délitera sous le Second Empire.
Cette très sérieuse exposition – qui aurait pu bénéficier d’une stimulante confrontation avec « Marie-Antoinette », au Grand Palais, si celle-ci n’avait pas versé dans l’anecdote – réaffirme ainsi l’importance du sens des images. Tente-t-elle de réhabiliter l’ornement, voué aux gémonies par Adolf Loos ? « Le XXe siècle n’a fait que déplacer le problème, plaide Odile Nouvel-Kammerer. S’il n’existe plus d’ornement sur les objets, les objets eux-mêmes sont devenus un ornement de l’espace ».
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Le sens des images
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Le sens des images