Chef-d’œuvre de l’exposition « Vivre et mourir en Égypte » au Musée d’Aquitaine, à Bordeaux, ce sarcophage en basalte est celui d’un personnage très proche du pharaon Ptolémée IV : Dioskouridès, dont le nom grec a été transcrit en hiéroglyphes. Il témoigne de la rencontre des civilisations grecque et égyptienne à l’époque ptolémaïque.
Printemps 332 avant notre ère. Alexandre le Grand entre en Égypte. Jusqu’à la bataille d’Actium et au suicide de Cléopâtre VII en 30 av. J.-C., l’Égypte est alors dominée par une famille royale d’origine grecque : les Ptolémée. C’est à cette époque qu’a vécu, est mort et a été enterré un certain Dioskouridès, contemporain de Ptolémée IV, dans la première moitié du IIe siècle av. J.-C. On ignore où fut découvert son sarcophage, chef-d’œuvre de basalte richement décoré. On trouve pour la première fois sa trace au Louvre, au XIXe siècle. Le musée l’a acquis auprès d’un médecin, Antoine Clot-Bey. À son arrivée en Égypte, en 1825, ce dernier s’est attiré les grâces de Méhémet Ali en soignant sa gastro-entérite. Devenu médecin attitré et ami du pacha, il a réorganisé les hôpitaux du Caire et fondé une école de médecine. À la faveur de ses séjours au pays des pharaons, ce médecin et diplomate averti s’est lié avec des marchands d’antiquités, constituant d’importantes collections, qu’il vend au Louvre, puis à la ville de Marseille, où il a fini sa vie. Ce sarcophage en basalte, une pierre sombre, dure, très difficile à sculpter, est une pièce incontournable de l’exposition « Vivre et mourir en Égypte » qui donne à voir comment les Grecs, qui procèdent à la crémation de leurs morts, adoptent, sous les Ptolémée, la momification et les pratiques funéraires égyptiennes. « On pense que cette pièce, très luxueuse, extrêmement bien travaillée et polie, provient de la nécropole memphite, sans doute de Saqqarah », avance Raphaële Meffre, chargée de recherche en égyptologie au CNRS et co-commissaire de l’exposition. Si le sarcophage de Dioskouridès, dont le nom grec a été transcrit en hiéroglyphes, intéresse les historiens aujourd’hui, c’est non seulement pour sa beauté, mais aussi et surtout en raison de l’identité du défunt pour lequel il a été réalisé. Les inscriptions gravées dans la pierre révèlent que ce haut personnage d’État est le fils d’un Grec et d’une Égyptienne. On a en effet longtemps cru que l’époque ptolémaïque fut celle d’une mainmise grecque sur l’État égyptien et sur son peuple. Ce sarcophage témoigne du fait que l’on pouvait accéder aux plus hautes sphères de l’État, même en étant né d’une mère égyptienne.
Une vie racontée dans une perruque ? C’est en effet l’une des particularités du sarcophage de Dioskouridès. D’habitude, dans les sarcophages, les pans de la perruque sont représentés striés ou, parfois, à l’époque ptolémaïque, ornés de divinités. « Ici, ils présentent une biographie du défunt », explique Raphaële Meffre, co-commissaire de l’exposition. Dioskouridès y apparaît comme l’un des plus importants personnages de la cour du pharaon : il est présenté comme diocète – l’équivalent du ministre de l’Économie et des Finances à l’époque ptolémaïque – et « archisomatophylarque », titre transcrit du grec qui indique « sa participation au haut commandement de campagnes militaires comme général et marque son appartenance au conseil privé du roi », explique le catalogue de l’exposition. Ce texte nous apprend aussi que ce personnage de haut rang est en réalité né d’un père grec et d’une mère égyptienne, nommée Tadiousir. « Jusqu’à une époque récente, on pensait qu’à l’époque ptolémaïque, les personnages les plus hauts étaient d’origine grecque, et que les Égyptiens n’avaient pas accès aux plus hautes sphères de l’État », souligne la commissaire.
Cet oiseau-ba, avec sa tête humaine, représente un thème particulièrement cher aux Égyptiens : il est l’âme du défunt, une des composantes de sa personnalité, qui a la faculté de sortir de la tombe pour recevoir la lumière du soleil et se régénérer, avant de revenir s’unir au cadavre momifié, afin de lui permettre de survivre éternellement. Ici, il est représenté sous le soleil, dont on voit les rayons irradier ses épaules et sa tête. Il est en outre entouré des déesses Isis et Nephthys qui lui apportent leurs bienfaits : souffle, vie, stabilité et force. Un passage du Livre des morts, évoquant le ba, accompagne cette représentation. Au registre inférieur, on reconnaît le scarabée, symbole du soleil renaissant, accompagné d’un passage du Livre des morts garantissant que le défunt a vécu une vie juste. Situé au centre du sarcophage, à l’endroit symbolique du cœur, ce scarabée se trouve entouré des quatre fils d’Horus préposés à la garde des viscères momifiés – foie, poumons, estomac et intestins – et à leurs réceptacles, les vases canopes.
Que fait donc ce personnage debout, devant ce qui ressemble à une armoire ? « Il s’agit du défunt se tenant devant sa tombe », répond Raphaële Meffre. Aux pieds du sarcophage, on observe en effet deux représentations symétriques de Dioskouridès. Face à lui, un naos, petite armoire où étaient gardées les statues divines : « Il est une représentation stéréotypée de la tombe », indique la commissaire de l’exposition. À l’intérieur de cette dernière, vole l’oiseau-ba, qui incarne la liberté de l’âme du défunt de circuler et de revenir sur terre. La scène est surmontée d’une représentation de la voûte céleste étoilée. Sur le dessus des pieds du sarcophage, se trouve figuré Anubis, dieu funéraire, maître des nécropoles et protecteur des embaumeurs, sous sa forme de canidé.
Représenté au niveau de la tête du défunt, un scarabée ailé pousse le disque solaire, pour que le soleil se lève et qu’émerge le matin. Il est ainsi une image de la résurrection et de la régénération du défunt. Il est entouré de textes gravés. La face externe du sarcophage est en effet couverte d’inscriptions. Leur emplacement ne doit rien au hasard : chaque écrit a été disposé sur le sarcophage aux endroits du corps en rapport avec la formule. Au sommet du crâne, sous ce scarabée ailé, a ainsi été gravé le chapitre 19 du Livre des morts, qui est la formule de la couronne de justification, couronne végétale offerte au défunt pour symboliser son accession à l’au-delà et son triomphe sur ses éventuels ennemis dans l’au-delà. Enfin, sur le pan arrière de la perruque et les parois latérales voisines figure le chapitre 162 du Livre des morts pour « allumer une flamme sous la tête du défunt ».
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Le sarcophage de Dioskouridès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°779 du 1 octobre 2024, avec le titre suivant : Le sarcophage de Dioskouridès