BRUXELLES / BELGIQUE
Du portrait du XVe siècle au selfie, les Musées royaux des beaux-arts de Belgique explorent les visages qui ont gardé la pose depuis six siècles.
Bruxelles. Une fois n’est pas coutume, il faut prendre son temps avant de pénétrer dans la manifestation bruxelloise. Les organisateurs de l’exposition « Promesses d’un visage », aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique ont mis en place un jeu pédagogique qui propose aux visiteurs – adolescents, mais pas seulement – d’engager un dialogue avec les visages. Ces échanges se font à l’aide de morceaux de papier collés à côté de quelques reproductions d’œuvres présentes à l’exposition : Le Bâilleur d’après Pieter Bruegel l’Ancien (1569), le portrait de Willem Moreel en donateur par Hans Memling (1451) ou un Pape de Francis Bacon. Le résultat est intéressant, car les commentaires qui vont du sérieux au naïf, de l’humoristique au poétique, sont la meilleure preuve que le visage n’est pas un sujet comme un autre. De fait, le spectateur entretient un rapport particulier avec la face humaine. En s’offrant à notre regard, le visage nous renvoie lui-même le sien. Se voir être vu, cette mise en abyme remet en question le pouvoir reconnu de notre regard en faisant basculer les rôles consacrés du sujet et de l’objet de la représentation.
Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qu’indique le titre de l’exposition, ce sont plutôt des portraits que des visages que l’on y voit. Même si depuis toujours le portrait tire sa légitimité de son support, le visage, il ne se restreint pas seulement à la face. Ce genre, en effet, reste celui où l’aspect idéologique est le plus surdéterminé et le plus explicitement lisible à l’aide de signes de distinction codifiés et insérés dans un cadre qui convient à sa notoriété.
Il suffit ainsi de comparer le Portrait des syndics de la corporation des poissonniers de Bruxelles par Pieter Van der Plas (1595-1650) à celui des Vieillards par le baron Léon Fréderic (1886). Les deux images de format horizontal mettent en scène plusieurs personnages qui manifestement forment un groupe. Toutefois, quand les premiers, qui partagent les mêmes uniformes et les mêmes enseignes, affirment avec fierté leur appartenance sociale, les seconds, issus clairement d’une classe populaire, humbles sans être misérabilistes, semblent ne pas avoir été gâtés par la vie. Le parcours, une fois passées les têtes sculptées, mi-chèvres, mi-licornes de l’inévitable Jan Fabre, propose une typologie étonnante. On suit, plus au moins chronologiquement, des portraits d’hommes, puis de femmes ou encore d’enfants.
Curieusement, cette organisation étrange permet parfois des constats intéressants. Ainsi, on remarque que les hommes ne sont jamais situés dans un espace d’intimité et gardent le plus souvent une position sobre. À l’opposé, les femmes, souvent cantonnées au domaine domestique, se permettent çà et là des poses séduisantes (Remember, Alfred Stevens, 1863).
La dernière partie de l’exposition est essentiellement concentrée sur les XIXe et XXe siècles. Si l’on y croise quelques œuvres exceptionnelles, comme la célèbre Mysteriosa de Jean Delville (1892) ou un formidable double portrait glaçant d’Otto Dix (Deux Enfants, 1921), l’ensemble reste brouillé. Toutes les promesses du visage ne sont pas tenues.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Le portrait sous toutes les faces