Le Louvre propose un parcours très réfléchi à travers 78 dessins et gravures sélectionnés pour leurs \"réserves\", c’est-à-dire les parties non dessinées ménagées au sein même du papier. Ce choix judicieux, qui s’étend de la RenaisÂsance à l’époque contemporaine, regroupe essentiellement des feuilles majeures du musée, complétées par quelques emprunts. De la même veine que \"Repentirs\", l’exposition voudrait, selon le commissaire Françoise Viatte, \"amener le spectateur à réfléchir sur l’élaboration du dessin\".
PARIS - La réserve, telle qu’elle est présentée ici, n’est pas le fruit du hasard, ni d’un premier jet de la part de l’artiste. Elle intervient au contraire – et par là même nous introduit – à un stade avancé dans le processus d’élaboration d’une œuvre. Elle permet, affirme Françoise Viatte, de "rendre sensible le caractère conceptuel du dessin".
Les feuilles s’ordonnent selon quatre critères. Au centre, trône une sculpture de Giacometti, l’Objet invisible, illustration du vide (un personnage tient un objet qui n’existe pas), sorte d’analogie sculptée et symbole même du propos. En préambule, les premières pièces s’attachent à montrer comment l’espace qui entoure la figure est nécessaire à son existence, créant ainsi un souffle, une vigueur qui permettent à la forme de prendre toute son ampleur.
Dans un second temps, le sujet s’organise autour du vide qui devient le centre ou le support signifiant du dessin. Ainsi le spectateur imagine-t-il dans l’Étude de draperie de Dürer un corps en puissance, rendu sensible par le drapé qui l’enveloppe, ou bien le volume d’une échelle qui s’inscrit en clair sur l’Étude d’homme de Daniele da Volterra, ou encore, dans la très belle Étude pour "Le Rêve du bonheur" de Prud’hon, la présence d’un corps gracile, révélé par la figure masculine qui l’entoure.
Vient ensuite l’évocation de l’ombre et de la lumière par le contraste du blanc – le papier réservé – et du noir. D’une valeur lumineuse chez Poussin ou Volaire, le blanc devient un élément chromatique, matière des paysages de Granet, Valenciennes ou Papety. Deux étonnantes pièces de Claude Gellée et d’Alexander Cozens utilisent avec force cette opposition pour créer un relief, livrant, chacun d’une manière très particulière, un univers propice à la méditation. Parfois, comme chez Picasso (Le Prisonnier) ou Toni Grand, le rapport des blancs et des noirs devient un jeu de positif-négatif.
Enfin, le dernier volet pose le problème de l’inachèvement qui, en tant qu’acte délibéré de la part de l’artiste, cède le pas à l’interrogation. Est-il le reflet d’une pensée en attente ou au contraire d’une volonté de ne pas aller plus avant ? Pourquoi Rembrandt laissa-t-il diffuser de son vivant une eau-forte, Le Dessinateur et son modèle, manifestement à moitié réalisée? L’inachèvement est-il, en ce cas, porteur d’un message ?
Rarement traité dans sa globalité, le sujet illustre un constant paradoxe, un jeu d’illusion pour l’œil et l’esprit. Il offre, en tout état de cause, un voyage étonnant au cœur des méandres du dessin.
RÉSERVES. LES SUSPENS DU DESSIN, Paris, Musée du Louvre, Hall Napoléon, jusqu’au 19 février 1996. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 22h. Catalogue collectif édité par la Réunion des musées nationaux, 200 p., 195 F.
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Le non-dit du dessin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Le non-dit du dessin