Art ancien

Peinture XVIIe

Le Nain, trois peintres et une énigme

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2017 - 797 mots

Le Louvre-Lens s’efforce de distinguer le parcours des trois frères et invite le public à questionner les attributions contrairement aux étapes américaines d’où vient l’exposition.

LENS - Les frères Le Nain demeurent l’un des grands mystères de la peinture française du XVIIe siècle. Le fait d’avoir tant œuvré de leur vivant pour ne former qu’un et leur signature unique « Le Nain », contribue en partie à cette énigme. Les commissaires de l’exposition Le Nain au Kimbell Art Museum à Fort Worth et à la Legion of Honor à San Francisco, Esther Bell et C. D. Dickerson III ont justement pris le parti de ne pas isoler le parcours artistique de l’un ou l’autre, comme l’avait fait Jacques Thuillier lors de la rétrospective du Grand Palais en 1978. Le jugement de Jean-Pierre Cuzin sur l’étape américaine, fin décembre dans la Revue de l’Art, est tombé comme un couperet. Après avoir rappelé le « relatif consensus sur le catalogue de l’œuvre et même sur le partage des mains » entre Jacques Thuillier, Pierre Rosenberg et lui-même depuis la fin des années 1970, il montre son étonnement : « Voilà que tout cela, si on lit bien le catalogue de Forth Worth-San Francisco, serait mis à bas. On ne peut reprendre ici œuvre après œuvre les points de grave désaccord. Mais nous ne pouvons cacher, pour ce qui concerne la compréhension de l’œuvre des Le Nain, que malgré plusieurs apports, deux tableaux inédits, de bonnes analyses scientifiques et quelques nouveaux documents d’archives, l’exposition marque une sérieuse régression, en focalisant l’attention sur la question des trois mains, en se trompant beaucoup à ce sujet et en introduisant des tableaux étrangers aux trois frères. »

Au Louvre-Lens, Nicolas Milovanovic est parvenu à rendre accessibles et presque ludiques ces débats  de spécialistes. Il propose au public de reconstituer le « puzzle Le Nain ». La scénographie est remarquable, malgré un grand espace vide central. Le parcours artistique du « grand » Louis, celui d’Antoine, puis celui moins facile à embrasser de Mathieu, sont présentés tour à tour. Le visiteur découvre ensuite leurs suiveurs, avant d’être invité à réfléchir autour de quelques tableaux « à problèmes » comme devant la grande cimaise intitulée « Le Maître aux Béguins est-il Abraham Willemsen ? », une question épineuse qui oblige les visiteurs à revenir en arrière et à s’approprier le sujet. Les commissaires ont aussi pris le parti d’exposer les « intrus » : La Crucifixion du Museum of Fine Arts de Boston ou L’Adoration des bergers du musée de Rouen. Le public averti ou tout à fait novice se prend au jeu, d’autant plus que les récentes découvertes sont bien mises en valeur. L’exposition présente ainsi une pépite, le Portrait du comte d’Harcourt par Antoine Le Nain, retrouvé par Frédérique Lanoë chez les descendants Le Nain.

Des attributions toujours en débat
Le dossier Le Nain n’est pas fermé pour autant. L’exposition du Louvre-Lens est un terreau fertile, où les spécialistes pourront encore échanger. Les questions d’attributions vont être débattues lors du colloque des 5 et 6 mai. Le corpus de Louis Le Nain empiète sans doute un peu sur celui de Mathieu, dont il est difficile de saisir les premiers pas. De même, l’œuvre d’Antoine n’est peut-être pas totalement cohérent. Nicolas Milovanovic, a confié au Journal des Arts, « avoir encore des doutes sur plusieurs attributions, l’accrochage a permis de tester des rencontres parfois très audacieuses. Certains tableaux auraient pu être présentés dans d’autres sections : le Bacchus et Ariane d’Orléans ou La Famille heureuse du Louvre “ chez Mathieu ” ou inversement Les Pèlerins d’Emmaüs du Louvre “ chez Louis…” ». Le commissaire ajoute qu’il est « convaincu qu’il reste bien des documents à mettre à jour, et que de nombreux Le Nain dorment dans des collections particulières ; peut-être même dans les réserves de musées sous d’autres attributions. C’est certainement le cas pour les portraits, car on sait que les trois frères ont été avant tout portraitistes. » Un tableau essentiel manque en effet, Le Portrait du comte de Tréville, le seul à être signé et daté, ce qui ne permet pas d’aborder cette question ardue pour départager les mains des trois frères.

La magie Le Nain opère, le traitement des sujets intrigue, même si de nombreuses clés d’interprétation sont maintenant proposées. Les scènes de vie paysannes seraient selon Jean-Pierre Cuzin des tableaux à sens caché, réalisés dans le contexte de l’action caritative des Filles de la Charité, des représentations d’enfants abandonnés placés dans des familles d’accueil dans des villages près de Paris, des portraits commandés par ces bienfaiteurs mais gardés confidentiels, destinés à conserver le souvenir des enfants sauvés grâce à eux de la misère et christianisés – d’où l’omniprésence du verre unique et de la miche de pain, symboles de l’eucharistie. Le temps où ces images étaient considérées comme des « gueuseries » est loin… Milovanovic conclut avec humour : « Sans doute notre regard sur les frères Le Nain sera complètement renouvelé lors de la prochaine rétrospective… dans 39 ans ! ».

Le Mystère Le Nain, le Louvre-Lens

Jusqu’au 26 juin, 99, rue Paul Bert 62300 Lens.

Légende photo

Louis Le Nain, Intérieur paysan, vers 1642-1645, huile sur toile, 55,6 x 64,7 cm, National Gallery of Art, Washington. © National Gallery of Art.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°477 du 14 avril 2017, avec le titre suivant : Le Nain, trois peintres et une énigme

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