BÂLE - Les organisateurs ont osé apposer un sous-titre audacieux : « une exposition unique ». Un tel propos n’est pourtant ici ni racoleur ni mensonger.
Konrad Witz, le maître bâlois qui en est l’objet, demeure l’un des plus énigmatiques « primitifs » allemands. Sa vie et son corpus, lequel est limité à une vingtaine de peintures connues, suscitent aujourd’hui encore de nombreuses interrogations. Seules quatre dates permettent de reconstituer son parcours.
Né probablement à Rottweil (à une centaine de kilomètres au nord de l’actuelle Stuttgart), membre de la guilde des peintres de Bâle en 1434 puis recensé comme bourgeois de la ville, le peintre aurait eu une carrière assez brève. Sa femme est en effet signalée comme veuve dès 1547. Par ailleurs, un seul de ses tableaux, le grand retable de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, mentionne son nom accompagné d’une date d’exécution (1444). L’essentiel de son catalogue repose donc sur des attributions d’ordre stylistique. Heureusement pour Witz, ses peintures ont un caractère sculptural tellement affirmé que le raisonnement paraît recevable. Toutefois, l’extrême fragilité de ses panneaux sur bois rend aujourd’hui quasiment impossible leur réunion. Au Kunstmuseum de Bâle, l’exposition a pu avoir lieu grâce à la présence dans les collections du musée de quatorze œuvres, attribuées à Witz ou à son atelier. Si le retable de Genève est inamovible pour des questions de conservation, il est tout de même représenté, à des fins documentaires, à travers de bonnes reproductions.
Reflets sur l’armure
La réunion des peintures de Witz illustre de manière évidente sa supériorité sur ses contemporains. Alors que les lignes gothiques dominent encore la production des peintres actifs dans la ville, lui est déjà capable de retranscrire parfaitement perspectives et ombres projetées. Démonstration est faite avec la reconstitution de l’essentiel des panneaux conservés provenant du Retable du Miroir du salut. Cet ensemble révèle la proximité de l’art de Witz avec celui de Jan Van Eyck. D’après Bodo Brinkmann, commissaire de l’exposition, le Bâlois aurait pu être l’un des premiers Allemands à avoir vu les œuvres du Flamand. Malgré la lourde restauration des fonds d’or, les figures y ont conservé leur forte plasticité. L’Abraham et Melchisédech est époustouflant par le jeu des reflets de la robe rouge sur le métal de l’armure.
L’exposition révèle aussi la qualité du coup de crayon du peintre. Non que des dessins de lui ne soient connus, mais grâce à la technique de la réflectographie qui permet de révéler les dessins sous-jacents aux peintures. Or, dans le cas de Witz, ceux-ci sont d’une extrême précision. Peut-être lui servaient-ils à présenter ses compositions aux commanditaires. Le précieux jeu de tarot venant des collections du château d’Ambras (Autriche) ayant appartenu à Ferdinand de Tyrol et donné à son atelier, dont six cartes sont réunies, révèle par ailleurs son grand talent de paysagiste. Witz apparaît au final comme un artiste assez complet. Trois chefs-d’œuvre tardifs attestent son sens de la monumentalité et sa capacité à interpréter une iconographie chrétienne pourtant convenue. Deux éléments d’un retable dépecé, La Rencontre d’Anne et de Joachim à la porte Dorée (Bâle) et L’Annonciation de Nuremberg figurant la Vierge dans un intérieur vide et fraîchement repeint, mettent en scène, par le décor, le parallèle entre Ancien et Nouveau Testament. Le tableau de Strasbourg, Sainte Catherine et sainte Madeleine, prêté de manière exceptionnelle, pourrait être une œuvre autonome du peintre. Elle offre plusieurs subtilités, rares pour l’époque, dont le reflet inattendu d’une bougie cachée derrière un pilier de l’église.
L’épilogue de l’exposition se consacre aux suiveurs, incontestablement moins doués. Un ensemble fait exception, celui de quelques peintures provenant de Savoie. Une Pietà (Frick Collection, New York,) présente une composition proche du dessin de Berlin. Elle a été autrefois donnée à un fils de Witz. La Crucifixion de Berlin pourrait être une œuvre de jeunesse et serait alors le seul petit format connu du peintre.
Conçue comme une réflexion sur le corpus d’un artiste encore mystérieux, cette exposition très scientifique entend apporter des éléments nouveaux dans la connaissance de l’œuvre de Witz. Faute de moyens, son épais catalogue n’a pas été traduit en français. Seul un succès public pourrait infléchir cet arbitrage budgétaire.
Commissaire : Bodo Brinkmann, conservateur au Musée des beaux-arts de Bâle
Nombre d’œuvres : 90
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Le mystère Witz
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 3 juillet, Musée des beaux-arts, St. Alban-Graben 16, Bâle, Suisse, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10-18h.Catalogue, en allemand, 392 p., éd. Hatje Cantz, 60 euros, ISBN 978-3-72040-194-4.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : Le mystère Witz