Coup de cœur : découvert par hasard, l’œuvre de Jean-Marie Delaperche, élève de David, est exhumé grâce à une importante exposition au Musée des beaux-arts d’Orléans.
« C’est le genre de découverte qui n’arrive qu’une fois par siècle. » C’est avec cette accroche alléchante qu’Olivia Voisin a inauguré l’exposition du Musée des beaux-arts d’Orléans. Si l’on peut un tantinet tempérer l’enthousiasme de la directrice des musées de la Ville, force est de reconnaître que la mise au jour de Jean-Marie Delaperche (1771-1843) fera date. Bien qu’il ne soit sans doute pas le « génie révélé » que promet la campagne de communication, ce dessinateur talentueux était totalement passé sous les radars. Il y a encore trois ans, personne ne le connaissait jusqu’à un heureux concours de circonstances. En 2017, un galeriste invite Olivia Voisin, spécialiste du XIXe siècle, à examiner un carton de dessins virtuoses dont l’auteur est inconnu. Un portefeuille de quatre-vingt-onze feuilles qui s’apparentent davantage à de petits tableaux qu’à de modestes dessins préparatoires, en raison de leur format et surtout de leurs effets picturaux résultant d’une utilisation magistrale du lavis. Sens de la composition, narration et inventivité des sujets : tout semble les rattacher à un artiste majeur. Une signature est trouvée : Laperche ou Delaperche en fonction des feuilles. On rapproche alors ce corpus d’un mystérieux artiste dont on ignore pratiquement tout, hormis qu’il est né à Orléans. Un élément biographique décisif, un sésame pour que la conservatrice s’empare du cold case. C’est alors une vraie enquête qui débute pour faire émerger des limbes cet artiste atypique qui a lui-même brouillé les pistes en ne signant pratiquement aucune œuvre, en menant une carrière hors des sentiers battus et en entretenant le flou sur ses collaborations tardives avec son frère. Car l’autre heureuse surprise de cette investigation fut la découverte non pas d’un artiste mais d’une famille : la mère Thérèse, pastelliste proche de Vigée Le Brun, dont on a étrangement perdu la trace et le frère cadet Constant, portraitiste et sculpteur actif dans le cercle des Rohan-Chabot. Malgré l’exploitation de précieuses archives et l’étude de son corpus graphique, de nombreuses zones d’ombre subsistent autour de Jean-Marie. Par exemple, pourquoi cet élève de David assez talentueux pour mener une honorable carrière officielle a préféré tenter sa chance en province avant de « s’exiler » pendant deux décennies en Russie où il a réalisé ses dessins dans le plus grand secret, puisque l’on ne connaît pas de gravure ou de tableau rattachés à ces compositions pourtant très élaborées. Puisant dans le vocabulaire néoclassique autant que dans le romantisme anglais, son œuvre sidère par sa puissance dramatique. A fortiori ses feuilles désespérées et hallucinées exécutées après le décès de ses fils durant la campagne de Russie. Cet artiste aux ambitions de peintre d’histoire se livre alors à un exercice cathartique mêlant éléments allégoriques, références autobiographiques et tonalité apocalyptique. Même si sa production est un peu inégale, ces feuilles à elles seules justifient un détour par Orléans.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°732 du 1 mars 2020, avec le titre suivant : Le mystère Delaperche enfin percé