Si la notion de mouvement traverse tout le XXe siècle, elle intéresse encore aujourd’hui un nombre très important d’artistes. Revue de quelques préoccupations contemporaines…
Depuis l’avènement de l’art cinétique et de l’Op’Art, le mouvement est devenu, quel qu’il soit, un paramètre plastique à égalité avec d’autres tels que la couleur, la lumière, l’image animée ou le son. Il est le prétexte à toutes sortes de recherches qui le mettent en jeu sur un mode réel ou virtuel, concret ou illusionniste, formel ou optique. S’il n’existe plus de tendances particulières en ce domaine, c’est que le mouvement est passé à l’usage des artistes comme un matériau participant à la production du sens de leur œuvre. Aussi les cas de figure sont-ils très nombreux, d’autant que l’essor des nouvelles technologies a grandement favorisé les possibilités du cinétisme.
Georges Rousse
Les artistes contemporains qui exploitent les potentialités plastiques du mouvement s’appuient sur tout un lot de critères qui ont fait le socle de la création de leurs aînés. Plus que d’un revival, il est donc question d’un continuum, de la permanence d’envisager la création à son écho. À ce compte, on observe que le principe de l’anamorphose – dont on rappelle qu’il est l’une des applications des travaux de Piero Della Francesca sur la perspective – reste un vecteur privilégié d’innovation. Depuis trente ans, Georges Rousse a ainsi fondé son travail photographique à l’appui de celui-ci, réalisant une figure anamorphosée – dessinée, peinte ou construite –, éclatée sur les différents plans de l’espace qu’il investit et dont il capte l’image en plaçant son appareil photo au seul point de vue où elle est rassemblée. Au tirage, la figure apparaît donc dans sa plénitude formelle, sa « lecture » étant rendue possible parce que son image est figée dans le médium lui-même. Les œuvres qu’il a réalisées l’an passé au château de Chambord en sont une puissante démonstration dans un rapport mémorable et prospectif au patrimoine.
Felice Varini
L’anamorphose, encore, dont Felice Varini exploite avec brio les propriétés. Il le fait à l’échelle d’un espace architectural dans lequel il est invité à intervenir – comme au Mac/Val, le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne –, mais, de façon encore plus spectaculaire, à celle de l’espace urbain, s’appropriant parfois tout un quartier – comme dans le cadre des Transurbaines de Saint-Étienne en 2005. Le point de vue qu’il choisit, et où il faut se placer pour découvrir la figure géométrique qu’il a peinte dans l’espace, fonctionne pour lui « comme un point de lecture, c’est-à-dire comme un point de départ possible à l’approche de la peinture et de l’espace ».
Loriot et Mélia
Si, sous l’angle de l’esthétique, l’Op’Art a instruit le concept d’un espace purement optique, cet espace et ses transformations, nées de la sensation du mouvement, sont également interrogés sur le plan de la matière et de son rapport à la lumière. Quoique figuratif, voire narratif, le travail que développent Loriot et Mélia s’inscrit dans une problématique semblable. Les installations qu’ils constituent en appellent à la réalisation de dispositifs chaotiques, faits d’objets de rebut, et à l’utilisation de la lumière, laquelle va opérer en unique révélateur de toute une iconographie virtuelle. Par le jeu des ombres portées, des reflets et des diffractions, la lumière qui compose avec les éléments sur lesquels elle se pose produit tout un monde de figures plus ou moins fantomatiques qui configurent une saynète, animée ou non. Il y va d’une sorte de petit théâtre d’objets dont la dimension poétique est un véritable enchantement.
Carsten Höller
Entomologiste de formation, Carsten Höller réalise quant à lui des installations qui mettent en question nos habitudes perceptives en jouant notamment de la question du double et en se servant volontiers de l’architecture comme espace d’expérimentation, tout à la fois support et matériau. Ce faisant, il invite le spectateur, parfois équipé d’instruments spécifiques, à une déambulation sensorielle inédite. Au Musée d’art contemporain de Marseille, en 2004, il avait ainsi transformé les lieux en créant des salles symétriques par rapport à un certain axe, proposant aux visiteurs de parcourir l’exposition munis de lunettes inversant l’image rétinienne. Ailleurs, il a mis en place des salles infrarouges dans lesquelles l’image du spectateur est projetée avec un décalage temporel qui change avec le temps.
Anish Kapoor
À ce jeu de transformations visuelles, Anish Kapoor réalise toutes sortes de sculptures qui se présentent comme autant d’aventures perceptives. Il y emploie tantôt des pigments purs, tantôt des miroirs déformants dont il recouvre en partie ses sculptures, suscitant une appréhension virtuelle de leurs reliefs. L’expérience proposée instruit une réflexion sur la phénoménologie de la perception dans ce rapport fondateur du minimalisme entre l’œuvre, l’espace de monstration et le spectateur.
Ann Veronica Janssens
Dans cette qualité de participation active des visiteurs, Ann Veronica Janssens nous propose de franchir des espaces « entre lumière et ombre, entre défini et indéfini, entre silence et explosion ». Pour ce faire, elle se sert de la lumière et l’infiltre « au-dedans de la matière et de l’architecture afin qu’une expérience perceptive ait lieu, la mette en mouvement et en dissolve les résistances ». Ici et là, le corps y est pleinement à l’œuvre.
À considérer que l’Op’Art – abréviation d’Optical Art – relève de jeux visuels impliquant ou non le déplacement du regardeur, le mouvement qui se dessine dans les années 1950 n’est pas né de nulle part. À la Renaissance, en même temps que s’imposaient les lois de la perspective, était élaboré le principe de l’anamorphose. Fondé sur une représentation éclatée de la forme, identifiable d’un seul et unique point de vue, celui-ci entraîna les artistes à imaginer nombre de procédures plastiques de sorte à en permettre la reconstruction. Les uns employèrent des miroirs en forme de cylindre qu’ils plaçaient au centre de l’image peinte, déformée à 360°, pour qu’elle s’y reconstitue ; les autres distordaient le motif peint en surface de leurs tableaux ou sur les murs, invitant le spectateur à trouver le bon angle de vue pour en avoir une lecture rationnelle. Ainsi des Ambassadeurs d’Holbein.
Pevsner et Duchamp
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la notion de mouvement gagna une dimension mécanique. Tout d’abord avec les premiers essais de simulation d’un vol de pigeon préfigurant le cinéma puis avec les recherches des avant-gardes des années 1910-1920, notamment Pevsner et Duchamp. Quand le premier imagina fixer une tige métallique sur un petit moteur la faisant tourner à toute vitesse pour créer un volume virtuel, le second conçut un dispositif fait de pales animées, peintes au motif fragmenté de cercles concentriques, dont le mouvement les faisait voir comme des disques pleins en rotation dynamique. Un travail qui prit forme par la suite dans l’un des tout premiers films expérimentaux, Anemic Cinema (1925).
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : Le mouvement toujours d’actualité