DÜSSELDORF - Lors d’un voyage en Espagne en 1908, le critique d’art allemand Julius Meier-Graefe a une révélation : « Avant Cézanne, le Greco portait le titre honorifique d’homme fou, était aussi secret, et était aussi peu familier des faveurs du public ; somme toute, il était si remarquablement proche de nos contemporains que l’on est tenté de retirer tout ce que l’on a dit sur les particularités de notre ère, et de compter les esprits les plus indépendants de notre époque comme les successeurs directs du Greco. C’est le même esprit, le même tempérament, la même vision. »
La publication en 1910 du Voyage espagnol de Meier-Graefe sonne la découverte de l’œuvre du Greco (1541-1614) par le « grand public » en Allemagne. Pendant une dizaine d’années, la fièvre Greco s’empare alors des artistes allemands pour s’évanouir aussi vite qu’elle était apparue, à l’issue de la Première Guerre mondiale, avec l’émergence de la Nouvelle Objectivité.
Au Museum Kunstpalast de Düsseldorf, en Allemagne, « Le Greco et les Modernistes » célèbre à sa manière le centenaire de deux expositions qui ont marqué en leur temps les esprits des jeunes artistes, et non des moindres – Max Beckmann, Oscar Kokoschka, Max Oppenheimer, Ludwig Meidner, ainsi que les membres du Blaue Reiter – en 1911 à Munich, puis à Düsseldorf en 1912. Il s’agissait de la présentation de la collection privée du Hongrois Marczell von Nemes (aujourd’hui dispersée), dans laquelle figuraient une dizaine d’œuvres du Greco.
Corps allongés, musculatures et traits aiguisés, regards saint-sulpiciens et atmosphères orageuses, l’histoire de l’art a depuis longtemps reconnu que l’univers exacerbé d’El Greco correspondait plus au début du XXe siècle qu’à la fin du XVIe. Fondée sur la thèse de Veronika Schroeder portant sur l’influence du peintre grec sur l’expressionnisme allemand, l’exposition est la première en son genre à confronter une quarantaine d’œuvres du Greco avec celles d’une trentaine d’artistes allemands.
Sélection confuse
Ambitieux mais réaliste, le musée a été le premier surpris du nombre de retours positifs à ses demandes de prêts, dont certaines pièces exceptionnelles comme L’Ouverture du cinquième sceau (Metropolitan Museum of Art, New York) ou le Laocoon (National Gallery of Art, Washington) – à signaler, une œuvre inédite provenant d’une collection privée italienne, le double Portrait du Christ et de la Vierge récemment identifié. Or, en s’ouvrant sur les autres artistes qui ont fait la modernité (Cézanne, Delaunay, Picasso) et qui ont à leur tour influencé l’école allemande, le propos tend à brouiller les esprits. Si certains moments de l’accrochage fonctionnent à merveille, comme la série des évangélistes du Greco ou les Trois crânes sur un tapis d’Orient (1904), un tableau de Paul Cézanne placé entre deux Schiele, l’ensemble ne convainc pas totalement. Ont été retenues les œuvres en lien avéré avec celles du Greco, avant qu’un cercle élargi n’en réunisse d’autres selon des critères esthétiques et formels et signées d’artistes qui, à l’instar du sculpteur Wilhelm Lehmbruck, ont « forcément vu Greco », explique le commissaire Beat Wismer. La confusion naît du mélange entre les deux sélections. Les grands formats d’Heinrich Nauen sont ainsi visuellement très proches du Greco alors qu’ils doivent plus à la Pietà de Michel-Ange dont le maître s’est aussi inspiré. Peut-être aurait-il été plus judicieux d’opérer une distinction claire entre les deux groupes d’œuvres.
Jusqu’au 12 août, Museum Kunstpalast, Kulturzentrum Ehrenhof, Ehrenhof 4-5, Düsseldorf, tél. 492118990190, www.smkp.de, tlj 10h-20, 13h-18h le lundi, 10h-21h les jeudi et samedi. Catalogue disponible en allemand et en anglais, Hatje Cantz, 416 p., 50 euros (40 euros au musée), ISBN 978-3-7757-3326-7 (allemand), ISBN 978-3-7757-3327-4 (anglais).
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Le Greco dans l’œil des modernes
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- Commissaire: Beat Wismer, directeur général du musée
- Partenariat: les voyageurs Thalys bénéficieront d’une réduction du prix d’entrée de l’exposition sur simple présentation du billet de train.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Le Greco dans l’œil des modernes