En reconstituant l’accrochage de 1955, le Musée de Saint-Tropez souligne la distance entre le goût du moment et le recul qu’apporte l’histoire de l’art.
SAINT-TROPEZ - Il y a très souvent un abîme entre le goût dominant à un moment donné et la création émergente. En reconstituant à l’identique l’accrochage de 1955, l’exposition commémorative des 60 ans du Musée de l’Annonciade à Saint-Tropez en apporte un lumineux témoignage.
Lumineux car Georges Grammont, le conservateur de l’époque, aime surtout la couleur, les paysages de bord de mer et la figure humaine. À l’inverse, il n’aime ni le cubisme, ni l’abstraction, qu’elle soit géométrique ou lyrique. Et si l’on retrouve dans l’exposition la Femme à l’ombrelle de Robert Delaunay, un tableau « géométrisant » de 1913, « c’est surtout en considération de ses couleurs vives », explique Jean-Paul Monery, le conservateur en chef. Il faut dire que Georges Grammont est un conservateur d’un genre un peu particulier. Conservateur des lieux depuis 1937, c’est lui qui obtient de la mairie la jouissance de la totalité de la chapelle de l’Annonciade qui jouxte le port. Il a quelques arguments à faire valoir. Ce riche industriel et collectionneur restaure à ses frais le musée dans le style Art déco et lègue à la Ville 56 œuvres dont plusieurs pièces maîtresses. Et des chefs-d’œuvre, il y en a un nombre incroyable pour un si petit musée : la célébrissime Gitane de Matisse (1905-1906), ou celle de Kees Van Dongen (1910-1911), plusieurs tableaux des Nabis qu’il aimait beaucoup dont un nu de Bonnard, les pointillistes Henri-Edmond Cros et Maximilien Luce.
Un musée de collectionneur
L’accrochage de 1955 fait naturellement la part belle aux vues de Saint-Tropez laissées par les peintres de passage et qui ont été acquises ou cédées par les artistes eux-mêmes au fil du temps : Paul Signac qui s’y installa dès 1892, Pierre Bonnard, Charles Camoin, Francis Picabia…
La disposition des tableaux a également été reconstituée à l’identique, « une disposition que l’on ne ferait plus aujourd’hui » admet Jean-Paul Monery. Un accrochage qui est longtemps resté en l’état en raison des clauses testamentaires de Georges Grammont avant qu’Alain Mousseigne, le prédécesseur de Jean-Paul Monery ne commence à bousculer les murs en 1992. La Gitane de Matisse se retrouve ainsi installée dans un coin à côté d’une petite Étude pour les Trois Grâces (1905), d’Henri Manguin, toute cézanienne, elle-même attenante à Effets de soleil sur l’eau, Londres (1906) d’André Derain. Aujourd’hui cette Gitane se retrouverait à la place d’honneur, éventuellement proche de la Gitane à l’atelier de Manguin qui lui est contemporaine et qui a été acquis par la Ville en 1976. Georges Grammont n’a pas été le seul donateur, de nombreux artistes ont contribué à enrichir les collections. Une petite salle latérale leur rend hommage. Soixante ans après, cet ensemble si exceptionnel apparaît bien sage en regard des « aventures » de l’art moderne. Et pourtant, selon le conservateur, « les Tropéziens n’aimaient pas leur musée à ses débuts ». Pas assez de toiles provençales sans doute. Mais alors, ont-ils aimé Et Dieu créa la femme de Roger Vadim avec Brigitte Bardot, tourné à proximité de l’Annonciade et qui sortit en salle en 1956 ?
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Le goût de l’époque
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 1er juin, L’Annonciade, Musée de Saint-Tropez, Place Grammont, 83990 Saint-Tropez, tel 04 94 17 84 10, tlj sauf mardi, 10h-13h, 14h-18, entrée 6 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Le goût de l’époque