Le duo d’artisans d’art a fait don au musée de Krefeld d’une sélection de ses plus belles pièces. L’occasion d’apprécier 20 ans de leurs créations réalisées en collaboration avec les plus talentueux des designers.
Krefeld. Il est de coutume, à son propre anniversaire, de recevoir des cadeaux. La maison d’édition française Domeau & Pérès, elle, au contraire, en fait. Pour célébrer ses 20 ans, elle a effectué, l’an passé, une donation conséquente : une quinzaine de pièces au Musée des arts décoratifs de Paris et une cinquantaine d’autres aux Kunstmuseen de Krefeld, en Allemagne. « Chaque institution a reçu des œuvres spécifiques, souligne Philippe Pérès, l’un des deux fondateurs. Nous avons, par exemple, donné au musée parisien les rééditions du mobilier du film Mon Oncle de Jacques Tati. » Quant au choix du musée allemand, la raison est simple : « D’une part, nous avions un contact de longue date avec sa directrice, Katia Baudin, explique Philippe Pérès. D’autre part, ma passion pour le design est née dans une ville non loin de Krefeld : Cologne. J’y ai débuté mon métier chez un antiquaire qui m’a ouvert les yeux sur des créateurs comme Frank Lloyd Wright ou Mies Van der Rohe. Bref, c’est comme un juste retour des choses. » La firme est également en contact, pour d’autres pièces, avec le Musée Cooper Hewitt, à New York, ou avec un musée à Philadelphie, « qui a montré son intérêt pour un lit de l’Australien Marc Newson ».
Pour l’heure donc, c’est l’Allemagne qui tire le gros lot avec cette donation que les visiteurs peuvent admirer, jusqu’au 14 octobre, dans une exposition déployée au Kaiser Wilhelm Museum, à Krefeld, intitulée « De l’idée à la forme, Domeau & Pérès : dialogues entre design et artisanat ». Celle-ci réunit une cinquantaine de pièces : meubles, objets, prototypes, maquettes, esquisses et autres documents d’archive.
Le moins que l’on puisse dire est que le duo – Philippe Pérès donc, 48 ans, tapissier, et Bruno Domeau, 56 ans, sellier – a plutôt eu du flair. Il a, en effet, soutenu, à leurs débuts, des designers aujourd’hui incontournables, tels Ronan Bouroullec ou Matali Crasset. Cette dernière est un peu la vedette de la présentation, avec une flopée de créations : la « colonne d’hospitalité » Quand Jim monte à Paris ; le lit d’appoint Téo de 2 à 3, « enroulable » autour d’un mât central qui sert aussi pour accrocher un panneau Do not disturb ; le sofa à monter soi-même Permis de construire ; la chaise Next One ; enfin, le fauteuil et son repose-pieds très pops Quand Jim se relaxe, dont les dessins techniques prêtent à sourire tant ils disent tout du résultat final.
Les meubles ici montrés évoquent un pan de la création française des années 1990, mais aussi en filigrane, une époque en train de virer à l’outil numérique. On peut voir encore des croquis sur calque, voire sur « fax », tel ceux de l’Anglais Michael Young au moment de développer le canapé My Slit Sofa. Ailleurs, un beau dessin au crayon de Jérôme Gauthier illustre son mobilier au ras du sol Tatami.
Certains projets évoquent le processus d’élaboration : depuis l’esquisse jusqu’à la mise en production, en passant par le prototype. Ainsi en est-il du canapé Pierre Paul Jacques d’Éric Jourdan, dont on peut voir des croquis au trait habillés d’aplats de couleurs vives. La radicalité peut aussi être de mise. Christophe Pillet conçoit un fauteuil et un repose-pieds, Vidéo Lounge, revêtus de métal poli. Martin Szekely, lui, réduit le fauteuil Domoà sa plus simple expression : une assise et un dossier. D’où une recherche approfondie sur les dimensions de l’objet. Idem chez Ronan Bouroullec avec le divan Safe Rest qui, à première vue, ne paraît pas si safe que cela, mais dont un judicieux système de triangulation assure la stabilité. Sur une note écrite est griffonnée cette phrase : « Barre supplémentaire, si possible en inox ». Un film montre la méticulosité du travail de Domeau & Pérès, à chaque stade de développement d’un produit. Le parcours évoque toutes les facettes de la société, y compris les travaux de commande (une chauffeuse développée, en 2001, par l’architecte Odile Decq pour la rénovation du Foyer des conférences de l’Unesco, à Paris) et la réédition (un bureau et une bibliothèque signés de l’artiste Sophie Tauber-Arp, fabriqués, en 2010, d’après des dessins de… 1928).
Pour des artisans, se tourner vers l’innovation et vers l’esthétique contemporaine était alors tout sauf la norme. Or, ce savoir-faire a assurément séduit. D’où cette multitude de collaborations fructueuses, dont la présentation offre un large aperçu.
Peter behrens, un pionnier du design industriel moderne
Portrait. À l’occasion d’un autre anniversaire, le 150e de la naissance de l’architecte allemand Peter Behrens (1868-1940), le Kaiser Wilhelm Museum, qui détient dans ses collections un fonds de quelque 250 pièces, en propose une sélection dans cette petite mais séduisante monographie intitulée « Peter Behrens, le pratique et l’idéal ». Outre son métier d’architecte, ce fondateur, en 1907, du Deutsche Werkbund – l’Association allemande des artisans –, avait, en réalité, de nombreuses cordes à son arc. Pour preuve, les pièces ici réunies qui balaient une large palette de disciplines : publicité et identité visuelle, typographie, affiche, livre, papier peint, gravure sur bois ou œuvre en verre, photographie, etc. Le parcours montre ainsi la prompte évolution et la conversion rapide de Behrens, de jeune artiste Jugendstil à pionnier du design industriel et du graphisme moderne. En témoignent, entre autres, un linoléum au motif d’une stupéfiante modernité élaboré en 1913 pour la nouvelle mairie de Brême, ou ce formidable travail réalisé pour la firme AEG : depuis le nouveau logo conçu en 1907, jusqu’au dessin des produits – interrupteurs, luminaires, ventilateurs, bouilloires… –, en passant par l’ensemble de l’identité visuelle et la construction, à Berlin, du bâtiment logeant la fabrique des turbines.
Peter Behrens, le pratique et l’idéal,
jusqu’au 14 octobre, Kaiser Wilhelm Museum, Joseph-Beuys-Platz 1, 47798 Krefeld (Allemagne).
Christian Simenc
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Le design français aux bons soins de domeau & pÉrÈs