NICE
Le Musée Cantini expose trois décennies d’expérimentation du verre par les artistes, soit 60 pièces sur les 700 de la collection du Centre de recherche sur le verre.
MARSEILLE - On n’a pas tous les jours… 30 ans. C’est le cas d’un centre d’art au nom un brin barbare : le Cirva (Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques), spécialisé dans le verre et installé depuis 1986 à Marseille, dans une ex-manufacture de vêtements. Cet anniversaire, célébré au travers d’une rétrospective au Musée Cantini, à Marseille, est l’occasion d’effectuer une visite en ce lieu singulier de la création en France, qui, depuis sa naissance, a accueilli plus de 200 artistes et designers. Sis au 62, rue de la Joliette, le local est scindé en deux parties distinctes : au rez-de-chaussée, l’espace d’expérimentation et de fabrication, pourvu de fours – une vingtaine de tous formats, dont trois de fusion ; à l’étage, les réserves, véritable caverne d’Ali Baba recelant à la fois la collection « officielle » constituée de 700 pièces imaginées par 150 artistes et divers « essais » – le processus de travail n’ayant pas nécessairement abouti à la réalisation d’œuvres. Bref, des trésors !
De l’artiste au souffleur
L’équipe, elle, se compose de huit personnes, dont trois souffleurs, une coordinatrice d’atelier ou une technicienne pâte de verre. Le budget annuel s’élève à 700 000 euros, financés à 55 % par l’État, 20 % par la Ville, 8 % par la Région et 8 % par le Département, auxquels s’ajoutent du mécénat – entre 10 000 et 20 000 euros – et un retour sur production, de l’ordre de 10 à 15 %. Environ un cinquième de ce budget est dévolu aux résidences de recherche, au nombre de 5 à 6 par an. « L’important, estime Isabelle Reiher, directrice du Cirva depuis sept ans, est que l’artiste, lorsqu’il séjourne chez nous, se sente soutenu, qu’il obtienne de belles pièces et que son travail vienne enrichir notre collection. » D’où ce passage obligé à son arrivée : « Il doit nous présenter son univers, afin de comprendre comment le verre va s’inscrire dans sa pratique et vers quelle direction il souhaite aller ou emmener les souffleurs. Cela permet ensuite d’instiller davantage de personnalité aux œuvres. »
Ce 27 avril, le sculpteur portugais Francisco Tropa, actuellement en résidence, appréciait la dextérité et célérité avec laquelle les habiles souffleurs génèrent une énorme cloche de verre représentant une « voûte céleste », élément essentiel d’une œuvre baptisée Le Firmament, qui sera exhibée, en septembre, à la galerie Jocelyn Wolff, à Paris. « Pour un artiste, le Cirva est un lieu extraordinaire, souligne Francisco Tropa. Sa force est de nous donner une entière liberté dans l’expérimentation. » Un travail « à quatre mains » qu’il résume d’une belle formule : « La relation doit être très proche avec le souffleur de verre, sinon il devient impossible de créer une pièce. Il faut alors que mon dessin s’adapte à la technique, afin que cela devienne possible. »
Le Cirva n’étant que rarement ouvert au public, la présentation du Musée Cantini permet au visiteur de se rendre compte de l’éventail des possibilités qu’autorise le verre. D’entrée, il se retrouve devant une œuvre imposante : Ongle, de Giuseppe Penone, masse de verre thermoformé dans laquelle l’artiste italien a glissé ses empreintes de pieds et de mains. Suit, parmi plusieurs propositions insolites et poétiques d’Erik Dietman, Sara, je vous…, splendide volume en verre soufflé perforé de tubes de cuivre. Souvent ces pièces issues de la collection du Cirva sont mises en regard avec des œuvres d’art venant des musées marseillais ou du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Paca. Ainsi de ce face-à-face rigolo entre les silhouettes anthropomorphes représentées par Victor Brauner dans Poichali et l’interprétation des Kachinas par le designer Ettore Sottsass, inspirés des poupées votives des Indiens Pueblo (États-Unis). La pièce de James Lee Byars, Le Petit Ange rouge, déploie, elle, ses 333 sphères de verre pourpre au sol devant un mur sur lequel se détachent les lettres peintes de Lawrence Weiner, As Far As The Eye Can See. « Je ne voulais pas cantonner les pièces à leur seul matériau, mais les montrer telles des œuvres à part entière », explique Isabelle Reiher, commissaire de cette exposition. Dove Allouche a récemment réalisé une cinquantaine de gros plans de champignons parasites, chacun recouverts d’une « cive » (feuille de verre de forme circulaire), laquelle donne aux photographies une étrange profondeur. On peut en contempler 8 versions. Jean-Luc Moulène, lui, a demandé aux souffleurs de s’emmêler les cannes pour réaliser des « nœuds marins » avec du verre en fusion. Un exploit ! En contrepoint, le tableau Monument aux oiseaux de Max Ernst affiche un curieux enchevêtrement de volatiles. « Plutôt que de saturer l’espace, j’ai préféré faire une sélection stricte, 60 pièces illustrant ces 30 ans d’expérimentation, afin de profiter au mieux de chaque œuvre », précise Isabelle Reiher.
Au troisième étage, à travers une douzaine de ses travaux, une salle fait l’éloge du designer italien Gaetano Pesce, lequel a, au Cirva, mis au point plusieurs techniques nouvelles, telles « Mistral », soit de la poudre de verre en fusion projetée par pistolet sur un moule (Bautta, 1988-1992), ou « Pastis », flacons dudit alcool brisés menu et pris parfois en sandwich entre deux feuilles de verre (« Pastis profond »). On l’aura compris, l’expérimentation verrière est loin d’être achevée.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Cirva souffle ses 30 bougies
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu 24 septembre, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Le Cirva souffle ses 30 bougies