VALENCE / ESPAGNE
L’artiste espagnole a reçu le prix Julio-González 2022 décerné par l’Ivam, qui lui consacre à cette occasion une rétrospective.
Valence (Espagne). Anthropologique : ainsi pourrait être qualifié le travail de l’artiste Carmen Calvo (née à Valence en 1950), troisième femme à recevoir le prix Julio-González, qui récompense chaque année depuis 2000 un artiste de renommée internationale en regard de l’importance historique de son œuvre. Ses prédécesseures ne sont autres qu’Annette Messager, qui travaille sur la mémoire, et Mona Hatoum, dont les sujets de prédilections touchent au corps et au genre : autant de thématiques qui se retrouvent dans l’œuvre polymorphe de l’artiste valencienne. L’Ivam (Institut valencien d’art moderne), qui avait organisé une première rétrospective de sa carrière en 1990, fait aujourd’hui le point sur ses quarante dernières années de création en reconstituant son atelier avec brio, entre étagères de bibelots, œuvres multi-supports et images découpées.
L’exposition s’ouvre sur l’une des premières installations réalisées par Carmen Calvo, intitulée Silencio I y II (Te prometo el infierno) (1995). Des douzaines de dalles de pierre blanche sont empilées contre un mur auquel sont accrochées des centaines de poignards. Le pendant de cette œuvre, sur le mur voisin, présente une mèche de cheveux suspendue à un miroir ancien. « Cette installation respire le silence. Il n’y a rien pour la déranger. La mort est passée et a laissé l’amer mais reposant souvenir de l’absence », explique l’artiste, qui a pensé son œuvre comme évocation emblématique d’événements tragiques.
La mémoire, le souvenir sont ainsi des territoires largement explorés par Carmen Calvo, qui compose son Autoportrait (1994) à l’aide d’une multitude de petits objets de son quotidien, tels des chaussures, un éventail et un pinceau, entre autres colifichets, collés sur une toile. Comme le ferait un archéologue, elle reconstitue sa propre existence à partir des témoins matériels de son histoire. Le geste de collectionner lui est ainsi essentiel, et, à la manière du poète Paul Éluard, l’artiste amasse obstinément des cartes postales, auxquelles elle ajoute des fragments de photographies et des phrases manuscrites au sens énigmatique. Par cette intrusion, elle entend se moquer de ces images illusoires aux couleurs enjolivées, répandues par l’industrie du tourisme.
À l’obsession de l’objet s’ajoute celle du corps humain : plusieurs œuvres témoignent de son utilisation récurrente des cheveux, qu’elle perçoit comme un symbole de l’identité de la femme, de sa sexualité et des châtiments auxquels elle a été soumise au cours des siècles passés. Ces dix dernières années, l’artiste a placé les rapports de domination et de violence exercés sur les femmes au centre de son propos, ce qu’illustre la salle-mémorial dédiée aux femmes anonymes, sur laquelle s’achève l’exposition. La naturaleza agita (2010-2018, [voir ill.]), une autre de ses grandes installations, trône au centre de la pièce : des centaines de doigts de femmes en terre cuite envahissent l’intérieur de ce qui semble être une cabine, dans une tension à la fois sensuelle et dangereuse, associée à l’image de la femme pécheresse, qui peine à disparaître dans une société espagnole imprégnée de catholicisme.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : Le cabinet de curiosité de Carmen Calvo