Dans son film Élysée (2016), qui a été projeté du 7 au 14 janvier à la Galerie Perrotin, à Paris, Laurent Grasso (né en 1972) ausculte lentement le bureau du président de la République.
Pourquoi ce film et ce désir d’aller filmer le bureau du président de la République ?
La problématique des lieux de pouvoir et de leur influence sur les consciences, la manière d’organiser une sorte de mise en scène, la façon dont les lieux imposent et diffusent le pouvoir, sont des questions récurrentes dans mon travail. L’exposition « Uraniborg », présentée au Jeu de paume en 2012, abordait par exemple la question du panoptique : j’avais essayé là de faire le lien entre le dispositif, les ouvertures et la manière dont on organise le regard, la manière dont la surveillance peut être aménagée. D’une manière générale, j’essaye d’étudier les forces auxquelles nous sommes soumis et exposés, surtout lorsqu’on n’a pas l’impression d’être exposé à quelque chose.
Dans le bureau du président, ce qui est intéressant, c’est la question évidemment de la mise en scène du pouvoir et du choix français d’exercer le pouvoir dans des lieux patrimoniaux très chargés. La deuxième question, c’est : est-ce que le président lui-même n’est pas conditionné par le lieu ? De quelle manière la fonction s’appuie-t-elle sur le lieu ? Et aussi, de quelle manière la fonction n’est-elle pas également conditionnée par le lieu ? Et comment on travaille là-dedans ?
[Pour rappeler le contexte], j’avais été invité à participer à une exposition aux Archives nationales intitulée « Le secret de l’État » [4 novembre 2015-28 février 2016], pour laquelle on m’a demandé de réfléchir à un projet. Je leur ai proposé de faire ce film sur le salon Doré que j’avais en tête depuis un moment. Avec l’appui des Archives nationales, nous avons donc contacté la présidence.
Vous évoquez la mise en scène du pouvoir. La manière dont vous avez filmé les lieux constitue-t-elle selon vous une mise en scène, par le mouvement, le déroulé, les focus à certains endroits ?
Oui ! Je n’ai à ma disposition que la plastique de l’image et le vocabulaire cinématographique classique, les mouvements, la temporalité qui va être induite par le mouvement. J’ai fait des choix assez précis, j’ai eu le temps de les faire puisque je suis allé plusieurs fois à l’Élysée faire des photos, je me suis documenté ; j’ai essayé d’étudier également l’histoire des objets à cet endroit. La caméra a aussi un rôle imaginaire. Elle est un objet révélateur d’une part invisible d’un lieu, avec un point de vue qui est inhabituel, très lent, à l’aide d’un objectif macro allant chercher des détails à des endroits où l’on ne regarde pas forcément, comme le haut des pieds du bureau ou la phrase qui figure sur la tapisserie : « Don Quichotte guérit de sa folie par la sagesse ».
Il y a donc à la fois le mouvement, le dispositif mis en place : on arrive avec une caméra 35 mm, des rails de travelling, une grue afin de pouvoir faire des mouvements dans un endroit qui n’est finalement pas si grand – et ensuite il y a tout le travail de montage. Mon directeur photo, Jean-Louis Vialard, et ma monteuse, Maryline Monthieux, ont une activité reconnue dans le cinéma. Ils viennent travailler avec moi car il s’agit d’un contexte parallèle à leur activité où l’on va essayer d’inventer un langage, de faire les choses d’une manière un peu différente. Un dernier élément relatif à la mise en scène est la musique de Nicolas Godin [du groupe Air] qui vient appuyer ce côté fantomatique, presque un peu inquiétant, et cette espèce de « vacance » dans ce bureau vide. Ma demande portait sur le ralentissement, il fallait donner du temps aux images. Il y a là une part hypnotique et assez planante.
Cette focalisation sur des éléments de décor mais aussi sur les téléphones sécurisés ou un fragment de discours annoté ne comporte-t-elle pas une part de voyeurisme ?
Non car il faut différencier les choses. Ce bureau est visible lors des Journées du patrimoine, il a été beaucoup pris en photo et filmé. D’un point de vue purement documentaire, on trouve tout ce qu’on veut sur Internet. Ce qu’apporte un travail artistique, c’est de pouvoir montrer les choses autrement. Ce que j’essaye de construire n’est pas seulement un travail avec des messages qui se voudraient naïvement et directement politiques, mais plus un ensemble de questions, un système et un langage. Cela m’intéresse d’aller décrypter nos institutions, d’avoir accès à tout cela et de tenter de comprendre comment ça s’organise.
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Laurent Grasso : « Cela m’intéresse d’aller décrypter nos institutions »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Laurent Grasso : « Cela m’intéresse d’aller décrypter nos institutions »