Au Musée Tinguely, les archives de l’ancien conservateur Ad Petersen font revivre la période du Nouveau Réalisme et de Fluxus.
BÂLE - Ad Petersen le glisse rapidement en amont de la conversation. « Ma rencontre et mes débuts professionnels aux côtés de Willem Sandberg ont été déterminants pour le jeune historien de l’art que j’étais. » Le portrait qu’il a fait du graphiste et directeur du Stedelijk Museum (1945-1962), lequel fit de ce musée d’Amsterdam le premier lieu en Europe ouvert à l’art contemporain, fait d’ailleurs partie intégrante de l’histoire sensible à fleur d’images que raconte Annja Müller-Alsbach, conservatrice au Musée Tinguely, à Bâle. Celle du Néerlandais Ad Petersen, né en 1931, qui pendant trente ans, de 1960 à 1990, a photographié les artistes rencontrés en tant que conservateur dans ce même Stedelijk Museum, mais aussi leur travail dans l’atelier et la scène artistique à laquelle il a participé. Sans jamais se positionner comme photographe professionnel. Seulement « pour garder une mémoire visuelle de ce que je vivais », relate Ad Petersen, tout en précisant qu’il n’a photographié que ceux qu’il aimait.
Archives innombrables
« Ces photographies sont des études, des documents qui ont été parfois repris pour des catalogues », poursuit-il. Images en noir et blanc concentrées à Bâle sur les années 1960-1970 et les artistes de la génération de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle : Martial Raysse, Daniel Spoerri, Robert Rauschenberg, Ben Vautier, Markus Raetz, Joseph Beuys, Roland Topor… « Les archives d’Ad Petersen composées de milliers de négatifs non développés, de planches-contacts et de tirages d’époque, recèlent bien d’autres trésors », précise Anna Müller-Alsbach. Son choix colle à l’identité et au propos du Musée Tinguely, mais aussi aux artistes avec lesquels Petersen a tissé des liens particulièrement forts.
Tirages en grand format de prises de vue jamais éditées par l’ancien conservateur, vintages qu’il tira dans le laboratoire du Stedelijk Museum pour la plupart eux aussi inédits et œuvres ou travaux personnels d’artiste offerts à Petersen par Tinguely, Saint Phalle, Topor, Saura ou Raetz évoquent cette période d’où émane par image interposée une vitalité, une dynamique entre artistes et une intimité partagée.
Préparation d’exposition, vernissage, happening, performance, atelier, soirée, repas joyeux, duos amoureux…, au fil des morceaux de vie, les photos d’Ad Petersen renvoient aux complicités, aux audaces, aux créations, transgressions et relations avec les artistes, et entre artistes eux-mêmes en particulier avec ceux du Nouveau Réalisme ou de Fluxus. À cette histoire s’entremêle celle du Stedelijk Museum, de ses expositions d’art contemporain alors à l’avant-garde dans le paysage muséal européen. La première salle est ainsi consacrée en partie à l’exposition « Dylaby », conçue autour d’un projet de Tinguely qui réunit en 1962 Niki de Saint Phalle, Spoerri, Raysse, Rauschenberg et Per-Olof Ultvedt.
Martial Raysse, un mannequin dans les bras à l’entrée du musée pour « Dylaby » ; Ben lors de l’exposition « Happening & Fluxus » à Cologne en 1970 ; Beuys à Cassel en 1968 ; Markus Raetz dessinant dans le train reliant Bâle à Bern : les images de Petersen redonnent vie à ces instants passés, les rendent palpables. Pontus Hulten saisi au Moderna Museet à Stockholm en janvier 1970 ou Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle attablés pour un déjeuner en octobre 1968 dans leur maison de Soisy-sur-École (Essonne) avec Antonio Saura, Wies Smals et Gerda van der Elsken ramènent à d’autres instants.
Prises de vue sans flash où l’on découvre la première action en public de Gilbert & George comme celle de Richard Serra ou John Cage au Stedelijk, les tablées joyeuses des Nouveaux Réalistes à Milan en 1970 autour de gâteaux confectionnés à l’image de leurs créations phares.
Dans ces photographies aux visages tour à tour rieurs, facétieux, concentrés, graves, perdus, s’immiscent régulièrement les portraits de couples (Niki et Jean, Ben et Annie, Christo et Jeanne-Claude, Edward et Nancy Kienholz), d’artistes aussi avec leur enfant (Topor et son fils Nicolas ou Antonio Saura avec sa fille) et des travaux dans l’atelier où là, chacun, solitaire, oublie l’objectif.
Jusqu’au 26 mai, Musée Tinguely, Paul Sacher-Anlage 2, Bâle, Suisse, tél. 41 61 681 93 20, www.tinguely.ch, ma.-di. 11h-18h. Publication, Ad Petersen. Les mille lieux de l’art, éd. Periferia, Lucerne, en allemand, 38 CHF (env. 31 €).
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L’art et la vie confondus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°389 du 12 avril 2013, avec le titre suivant : L’art et la vie confondus