Design - Architecture

L’art et la matière selon atelier oï

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 25 mai 2018 - 868 mots

Pour inaugurer sa rénovation, le Museum für Gestaltung de Zürich déploie les délicates créations de design et d’architecture de l’atelier oï qui ont émaillé son activité depuis 27 ans.

Zürich. Leur nom, bref, a toujours intrigué : deux voyelles et un tréma. Ce mot est en réalité tiré du vocable russe « troïka », dont il est le cœur. S’il désigne un grand traîneau tiré par trois chevaux attelés de front, il peut aussi signifier un « groupe de trois dirigeants ». Tel est le cas de ce trio de designers romands, Aurel Aebi, Armand Louis et Patrick Reymond, qui ont fondé « atelier oï », en 1989 – soit il y a quasiment trente ans –, à La Neuveville, petite localité helvète sise sur une rive du lac de Bienne. D’où cette vaste rétrospective au Museum für Gestaltung, à Zürich, la maison mère qui vient de rouvrir (lire JdA n° 498) leur ayant offert, en guise d’exposition inaugurale, son espace phare consacré aux présentations temporaires : le grand hall. De quoi y déployer à l’envi près de trois décennies de production tous azimuts, rassemblées sous un même titre : « Oïphorie, atelier oï ».

Et effectivement, c’est avec une « euphorie » non feinte que l’on déambule dans les travées de cette monographie, tant la variété (lumières, couleurs, mouvements…) est de mise. « Nous voulions jouer sur le côté festif à la fois de la réouverture du musée et de la concomitance avec notre propre anniversaire, près de trente ans de collaboration ensemble… D’où, notamment, ces grandes installations animées, explique le designer Armand Louis, membre-fondateur du trio. Au lieu de faire un parcours chronologique, nous avons cherché à schématiser davantage notre travail à travers une série de thématiques qui livrent, de fait, quelques clés sur nos processus de création, et ce, afin d’en apporter une lecture quasi holistique. »

Lumière et mobilité

Le parcours se divise en deux grands moments : d’une part, dans la « nef » centrale, trois grands mobiles ; d’autre part, dans les deux « bas-côtés », une multitude de travaux classés selon des dénominations qui mettent en relief les différentes techniques de recherche chères au trio : « Linéaire », « En mouvement », « Sous tension », « Structuré », « Fait à la main », « En apesanteur », « Entaillé » et « Fluide/Rigide ». Quantité de prototypes et d’autres études, mais aussi moult produits édités (pièce unique, série limitée ou items de masse, tels le portemanteau Torslanda pour Ikea ou la tasse à café View pour Nespresso), ainsi que des vidéos évoquent le mode de travail à la fois systématique et ludique de l’agence suisse. Atelier oï possède trois cordes à son arc – architecture, objets et scénographie – et son approche se veut, avant tout, transdisciplinaire. Les formes et leur construction sont simples, intelligibles. C’est ce qui fait sa force. En témoignent ces objets développés depuis quatre ans, à l’invitation des autorités de la préfecture de Gifu (au Japon), avec des maîtres artisans locaux, comme la lampe Fusion ou la chaise Gifoï. À Seki, l’une des capitales mondiales de la production de lames, le trio a même dessiné un élégant katana ou « sabre japonais », finement ciselé par un forgeron expert – siglé 26e génération ! –, ici exposé.

Le moins que l’on puisse dire est que ces trois créateurs sont des expérimentateurs hors pair. « Nous sommes sans cesse en train de triturer toutes sortes de matériaux, souligne Armand Louis. Ce jeu de manipulation et ce dialogue intense avec la matière sont primordiaux. » Leur credo : « Penser avec les mains. » Et ce, quelle que soit l’échelle : aussi bien pour les objets que pour l’architecture. Ainsi, pour la maison Vuitton, ils imaginent Hammock, un hamac constitué d’un subtil travail de découpe, puis de tressage du cuir. À l’opposé, pour le groupe horloger Swatch, ils réalisent, à Cormondrèche (Suisse), le Centre d’excellence pour la bijouterie et les savoir-faire, dont la façade se mue en étonnant moucharabieh de béton.

À voir le nombre de luminaires, on devine que la lumière est un registre estimé. Tout comme le mouvement d’ailleurs. Ainsi en est-il des Danseuses (Artemide/Danese), inertes « au repos », mais qui, lorsqu’elles sont allumées, grâce à un petit moteur, font rapidement onduler leurs abat-jour tels des derviches tourneurs, afin que la force centrifuge l’emporte sur la gravité. Inspirées par la respiration des méduses et fabriquées en textile plissé, les lampes Oïphoriques – un leitmotiv, décidément ! –, elles, se contractent et se dilatent en permanence.

Dans la « nef » du grand hall donc, se déploie le clou du « spectacle » : trois « objets aériens » comme en apesanteur. À l’entrée : Minoshi, myriade de fleurs blanches conçues en washi (papier japonais) ; au centre, Brindilles, frêles baguettes de bois reliées entre elles par de fines sangles de tissu ; enfin, à l’autre extrémité, Hélicoïdales, grandes spirales de lamelles d’arole (ou pin des Alpes). « Ces trois installations jouent avec la thermique du lieu et exploitent les plus infimes courants d’air, indique Armand Louis. L’idée, ici, était de capitaliser sur les éléments naturels de l’espace et de le rendre actif par la présence des visiteurs. Dix personnes seulement suffisent pour créer un effet de mouvement et leur chaleur fait illico se mouvoir les modules. » Un dispositif poétique pour notifier toute présence humaine.

Oïphorie, atelier oï,
jusqu’au 30 septembre, au Museum für Gestaltung, Ausstellungsstrasse, 60, 8031 Zürich, (Suisse), www.museum-gestaltung.ch.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : L’art et la matière selon atelier oï

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