BERLIN / ALLEMAGNE
Prenant appui sur les dons et dépôts de la Collection Flick, la Hamburger Bahnhof déploie un exceptionnel ensemble d’environnements conçus à partir des années 1960.
Berlin. Il y a d’emblée, dans l’énoncé de cette exposition, quelque chose d’erroné. Vouloir « tracer une histoire de l’art de l’installation des années 1960 à nos jours avec un focus sur les structures narratives » laisse entrevoir une mise en perspective historique, une analyse des différents modes d’approche de ce format artistique extensible, voire des regroupements formels, thématiques, temporels. La tâche s’annonce colossale, certes, et difficilement endossable par une seule institution.
Et en effet, « Moving is in every direction. Environments – Installations – Narrative Spaces », proposée à Berlin par la Hamburger Bahnhof, n’a rien de la perspective annoncée. Pourtant, voilà l’une des expositions les plus enthousiasmantes qu’il ait été donné de voir au cours des derniers mois. Foin de concept, les œuvres parlent d’elles-mêmes, et quelles œuvres ! C’est bien la première chose qui saute aux yeux et aux sens lors de la traversée de ce parcours démesuré, qui sur quelque 3 500 mètres carrés d’espaces d’exposition regroupe les travaux de vingt-sept artistes. Car il importe de considérer l’origine des pièces. Comme de nombreux musées désargentés, l’institution berlinoise a mis à profit ses richesses propres : des œuvres de sa collection rejointes en grand nombre par celles du très avisé Friedrich Christian Flick, qui ont été mises en dépôt ici en 2004, avant que ne soient effectuées deux donations, en 2008 et 2014, de 268 œuvres au total. Si l’on y ajoute une poignée d’autres prêts, le cocktail se révèle redoutable de pertinence.
La sculpture considérée dans un champ élargi prend appui, dans l’exposition, sur quelques démarches pionnières aussi radicalement opposées, conceptuellement et visuellement, que celles de Joseph Beuys et d’Allan Kaprow. L’artiste allemand règne là en maître, avec pas moins de quatre installations massives parmi lesquelles la magnifique Tallow, pensée pour Skulptur Projekte Münster en 1977, qui se présente comme de colossaux blocs de graisse similaires à des icebergs échoués dans un contexte urbain et sur lesquels sont fichés des fils de cuivre.
À l’inverse, le Fluxus américain Allan Kaprow, qui en 1958 présenta son premier environnement, est ici fort discret : une documentation évoque notamment son installation Reinvention of the Environment de 1961, où l’usage de pneus répondait au concept d’expansion consistant, pour l’œuvre, à emplir l’espace.
Espaces narratifs
Parmi les formes narratives évoquées dans le titre, certaines fonctionnent comme des supports à l’imagination mise en éveil par la nature à la fois environnementale et enveloppante des œuvres, mais aussi par les dispositifs qui amorcent, au-delà de ce qui est donné à expérimenter, des capacités de projection de l’imaginaire. Dans ce registre dominent les propositions de Gregor Schneider et de Bruce Nauman. Lorsque le premier invite à pénétrer dans une pièce noire qui, une fois l’interrupteur basculé, se révèle être une chambre dépouillée et un peu sordide (Schlafzimmer, 1986-1988), le second, magistral, entraîne dans un corridor faiblement éclairé dont toutes les issues sont barrées (Room With My Soul Left Out, Room That Does not Care, 1984-2010).
Certains environnements sonores redéfinissent la gestion corporelle de l’espace, telles les installations de Susan Philipsz ou de Bernhard Leitner. Brillant est également Richard Artschwager qui déplace l’objet du minimalisme vers des caisses de transport de toutes formes (Archipelago, 1993). Comme touchante est l’installation de Pipilotti Rist, avec ces cartes postales de voyage envoyées depuis le monde entier qui, dans une vaste salle plongée dans le noir, prennent la forme de courts films vidéo projetés au sol sur des amas de sable et galets (Remake of the Weekend, 1998). La délicate musique qui l’accompagne, enveloppante à souhait, finit d’emporter au loin et apporte la preuve que l’installation fait bel et bien sortir du cadre.
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L’art en mode élargi
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Jusqu’au 17 septembre, Hamburger Bahnhof, Museum für Gegenwart – Berlin, Invalidenstraße 50-51, Berlin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : L’art en mode élargi