Alors que vient de se tenir en Italie l’une des rares rétrospectives consacrées à l’hyperréalisme, celle de Strasbourg, emmenée par Jean-Claude Lebensztejn et Patrick Javault prend clairement à rebrousse-poil la vision littérale (et souvent de mise) défendue à Rome par le principal promoteur du mouvement, celle d’une identité, ou plutôt d’une « manière » homogène et artificiellement maintenue. Plutôt que de parler de mouvement, l’exposition alsacienne pointe fermement l’idée d’un faisceau complexe de tendances.
Une pluralité qui s’énonce jusque dans le titre de l’exposition « Hyperréalismes » et dans la privation de son article défini. Restent alors une possible unité géographique et historique (USA, 1965-1975) et une mosaïque d’artistes mal ou peu liés entre eux (Richard Artschwager, Chuck Close, Don Eddy, Malcolm Morley, Richard Estes, Ben Schonzeit pour les plus célèbres) principalement et circonstanciellement réunis autour de la rencontre de la photographie et de la peinture, sur fond de représentation archétypique de la vie urbaine américaine. Tous ou presque peignent dans un style photographique et d’après photographie, avec force précisions, réalisme et distanciation, au point parfois de conférer une curieuse irréalité à ces transcriptions.
Tous ou presque transcrivent la photographie au moyen de procédés mécaniques. Aucun ou presque ne vise à représenter le réel et à y intégrer l’œil subjectif de l’artiste. Car c’est bien de représentation d’image qu’il s’agit et de la supposée objectivité photographique : voitures, enseignes, échoppes autant d’archétypes de la culture américaine moyenne, autant de clichés photographiés, puis peints, aplatis, jusqu’à l’abstraction par le principe distancié de la transcription. Les images/peintures d’images/photographies (elles-mêmes souvent images archétypiques) ainsi obtenues, multiplient questionnements et radicalités. Un « écrasement » de la réalité et de son image que Lebensztejn qualifie de « double fond référentiel » de l’hyperréalisme, produisant avant tout des « signes dont les objets sont des signes ». À y regarder de plus près, les choses ne sont donc pas si simples et les contours à peine homogènes. Et c’est ce que l’exposition démontre sans mal, qui rassemble sous une même inflexion un Richard Estes, assumant apparemment un antimodernisme inscrit dans la tradition réaliste américaine et un Malcolm Morley dont les références et pratiques s’inscrivent davantage dans une stratégie moderniste critique. Suspectés de mauvais goût rétrograde et anachronique, coupables de succès populaire, soupçonnés de diffuser une imagerie flatteuse par trop confortable, les acteurs du photoréalisme ou hyperréalisme promènent aujourd’hui encore un parfum de traditionalisme, de facilité et d’ambivalence tel que ni les conservateurs, ni les modernistes ne s’y reconnaîtront véritablement.
L’entreprise portée par Javault et Lebensztejn n’exprime finalement ni un illusoire projet de réhabilitation, ni une apologie du mauvais goût, encore moins un exercice de condamnation des expériences photoréalistes de ces années 1965-1975. Alors quoi ? En plus d’une mise au point historique et correctrice visant à démentir ou réévaluer l’interprétation dominante admise jusqu’ici, l’exposition avance un parcours et un commentaire dont la rigueur maintient, en filigrane tendu et permanent, une position historique et formelle réflexive, privilégiant le processus artistique. L’accrochage lui-même, tout de dialogues et mises en tension, atteste du caractère pluriel et discontinu du sujet abordé autant que de ses concordances. Une exigence qui suffit amplement à écarter les quelques regrets laissés par l’exposition. On aurait aimé découvrir davantage de sculptures, davantage d’alternatives européennes et par là même davantage d’articulations, de pluralités théoriques, techniques et formelles permettant alors une exposition dont les moyens auraient été en accord avec l’ampleur du contenu. Et sans doute une pointe d’explications aurait-elle rendu le parcours plus généreux.
Signaler les procédés techniques (extraordinairement divers) utilisés notamment par des artistes aussi différents que Don Eddy et Richard Estes, auraient permis au néophyte de mieux apprécier leur conversation au sein de l’exposition et d’y voir autre chose que des analogies formelles. Un argument supplémentaire en faveur du catalogue, complément passionnant et nécessaire, édité pour l’occasion. Copieux, un brin provocateur, rassemblant textes et entretiens inédits, soulignant d’abord la complexité et les ambivalences hyperréalistes, il s’impose déjà et aisément comme l’ouvrage de référence aux côtés d’une littérature par ailleurs étonnement restreinte.
« Hyperréalismes, USA 1965-1975 », STRASBOURG (67), musée d’Art moderne et contemporain, 2 place du Château, tél. 03 88 52 50 00, 27 juin-5 octobre, www.musees-strasbourg.org Le catalogue : 304 p., 150 ill. couleur, 45 euros.
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L’Amérique mise à plat
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°550 du 1 septembre 2003, avec le titre suivant : L’Amérique mise à plat