Art contemporain

Laib, une vie de moine

À Nîmes, un art primordial et essentiel

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 631 mots

NÎMES

Retiré dans la région d’Ulm, dans le sud de l’Allemagne, Wolfgang Laib vit au gré des saisons. Sa vie, entièrement conditionnée par son art, s’articule autour de son long travail de récolte du pollen. À Nîmes, il a, entre autres, réalisé quelques-uns de ses monochromes jaunes, œuvres minimales et essentielles.

NÎMES - Wolfgang Laib n’avait pas bénéficié d’une exposition personnelle en France depuis 1990, lorsque le Centre Georges Pompidou, à Paris, et le capcMusée d’art contemporain, à Bordeaux, avaient accueilli ses œuvres. Sept ans plus tard, le visiteur de la manifestation annoncée comme la plus importante jamais organisée par l’artiste dans notre pays ne sera nullement dépaysé. Laib reste en effet fidèle à son vocabulaire minimal et naturel, primordial et éminemment personnel. Sa biographie laconique, publiée dans le catalogue, résume de façon à la fois lapidaire et profondément objective les différentes étapes de son travail : “En 1975, il réalise les premières Pierres de lait, en 1977 il récolte pour la première fois du pollen, en 1983 il commence ses premiers travaux avec du riz, et en 1987 avec de la cire d’abeille etc.”.

L’exposition nîmoise débute justement par l’une de ces cavités de cire d’abeille dans laquelle nous sommes invités à venir séjourner, à nous imprégner de cette atmosphère chaude et parfumée. Laib a d’ailleurs en projet la construction d’une chambre similaire creusée dans le Roc del Maure, dans les Pyrénées-Orientales. Cet espace, situé en pleine nature, en face du Massif du Canigou, devrait notamment bénéficier du label de la Mission An 2000.

Je ne suis pas ici
Au Carré d’Art, Laib expose encore l’une de ses plus grandes Pierres de lait, plaque de marbre recouverte d’une fine pellicule du liquide blanc. Sa surface miroir nous renvoie notre image dans une mise en abîme qui appelle plus largement à l’introspection. La même expérience est induite par les carrés de pollen déposés soigneusement sur le sol. Ici, le jaune intense et changeant – en fonction de l’origine de la substance : pin, noisetier, pissenlit – nous invite à une même sensation pure. Avec ses contours flous, ces monochromes cultivent une certaine analogie, aussi bien d’un point de vue formel que par leur effet sur le spectateur, avec les grandes toiles de Mark Rothko exposées actuellement au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ailleurs, Laib a aligné des plateaux de laiton recouverts de tas de riz et d’un mont de pollen de noisetier, Repas de riz (1999). Ce féculent entoure encore le marbre blanc des Maisons de riz (1997). Certains voient dans ces pièces des références à un rituel mortuaire, successions hypothétiques de tombes. L’œuvre de Wolfgang Laib nous semble au contraire plus proche d’une allégorie à la vie, et si mort il y a, elle est ici intrinsèquement, intimement liée à une renaissance. Que ce soit par le pollen qui transmet la vie, ou par le riz qui la perpétue, l’artiste se situe davantage dans une logique spirituelle, voire rituelle, d’hymne à ce fragile souffle qui nous anime tous. Son art individuel, qu’il pratique presque en moine, dans un certain isolement, cultive encore le paradoxe de constituer une certaine apologie de la multitude – ces multiples grains qui s’associent pour construire un tout, cette cire d’abeille résultat d’un patient travail collectif.

Pendant de la Chambre de cire de la première salle, la dernière réunit un ensemble de bateaux réalisés dans cette même matière au parfum sucré, autant d’arches de Noé prêtes à partir. Je ne suis pas ici, est-il indiqué sur le cartel de l’œuvre. Non, il n’est pas ici, puisqu’il est partout.

WOLFGANG LAIB

Jusqu’au 30 mai, Carré d’art, Musée d’art contemporain, place de la Maison Carrée, Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-18h. Internet : www.mns.fr/carreart. Catalogue 104 p., 160 F. ISBN 2-907650-23-8.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Laib, une vie de moine

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