Nos lointaines aïeules ne furent pas que « femmes de » ou « filles de »... Une exposition à Tours rassemble des œuvres et objets témoignant de leurs rôles dans la société de la fin du Moyen âge.
« Pourquoi appeler Le Roman de la rose “art d’aimer” ? » s’insurge Christine de Pizan. « C’est bien plutôt l’art d’enseigner aux hommes les mauvaises ruses pour tromper les femmes », écrit-elle, à une époque où les partisans d’un discours misogyne et les fervents « champions des dames » se querellent autour de cette œuvre poétique. Née à Venise vers 1364, la jeune femme, qui a passé son enfance à la cour du roi de France Charles V, est mariée à 15 ans au secrétaire du monarque. Veuve dix ans plus tard, elle choisit de ne pas se remarier et de vivre de sa plume. Écrivaine, poétesse, historienne, philosophe et moraliste, elle réfute l’idée d’une infériorité féminine. Dans cette enluminure de son livre La Cité des dames, paru en 1405, qui réfute les préjugés misogynes, Catherine de Pizan est représentée devant ses ouvrages, tenant un livre. « Si elle reste une femme de son époque et ne remet pas en cause la hiérarchie des sexes, Christine de Pizan défend aussi bien leur capacité à étudier qu’à gouverner », souligne Elsa Gomez, directrice du Musée des beaux-arts de Tours et co-commissaire de l’exposition « Le sceptre et la quenouille, être femme entre Moyen Âge et Renaissance ».
Quel portrait de famille renversant ! Certes, si on n’y prête guère attention, il représente simplement le peintre Frans Franken I (1542-1616) et sa famille : sa femme Elisabeth Mertens et leurs quatre enfants, Frans, Thomas, Magdalena et Hieronymus. Dans le fond, apparaissent les pères de chacun des époux qui semblent veiller sur la généalogie familiale. Un portrait classique, si le pater familias occupait le centre de cette composition pyramidale… mais cette place est dévolue à son épouse ! Son fils aîné la désigne du doigt, tout comme son mari. « Le peintre renverse ici les conventions pour mettre à l’honneur la femme, dans son rôle de mère de famille et de bonne épouse, au sein d’un foyer harmonieux, stable et prospère », observe Elsa Gomez. Ce sont les femmes, en effet, qui ont la charge de la maison et s’occupent de l’éducation des enfants ainsi que de leur éveil à la foi, prenant exemple pour cela sur la Vierge Marie.
On naît « fille de », on devient « femme de » et l’on devient parfois « veuve de ». Il n’empêche. « Écrire l’histoire des femmes ce n’est pas seulement dire qu’elles ont été dominées ou victimes – elles ont agi, travaillé, aimé, créé. C’est parler d’elles comme actrices de l’Histoire », a écrit l’historienne Michelle Perrot, citée dans le catalogue de l’exposition. Penchée sur un livre de comptes, cette femme travaille avec son mari. Pour contribuer aux revenus du ménage, les épouses de commerçants ou d’artisans exercent généralement une activité à leur côté, tenant la comptabilité ou encadrant les valets… En cas de veuvage, elles pouvaient même reprendre l’affaire ! Cette femme est ici représentée comme une partenaire à part entière. Et si l’activité professionnelle n’est pas pour autant liée à une idée d’émancipation féminine, elle offre néanmoins une occasion de sociabilité en dehors du cercle familial.
Catherine de Médicis apparaît souvent représentée en veuve : dans ce portrait d’après François Clouet, la voici en reine de France ! Menant une politique fondée sur la diplomatie, cette experte de la mise en scène du pouvoir figure ici richement parée de ses bijoux, auxquels elle renoncera en 1559 après la mort accidentelle de son époux, Henri d’Orléans, fils de François 1er. « Reine de France, et deux fois régente, Catherine de Médicis représente l’apogée de l’intelligence politique au féminin, théorisée par Christine de Pizan, dont toutes les femmes de pouvoir du XVe et du XVIe siècle possèdent les ouvrages », souligne Elsa Gomez. Car à cette époque, en France et en Europe, les femmes – Isabeau de Bavière, Anne de France, Louise de Savoie, Catherine de Médicis ou encore Marie de Bourgogne et Marguerite d’Autriche dans les anciens Pays-Bas – gouvernent, captivent les courtisans étrangers par leur éloquence et, entourées de nombreuses dames, rayonnent à la cour…
Quelles sorcières ! Quatre femmes nues au milieu des ossements préparent un onguent pour le sabbat, dont s’échappe une fumée montant vers ciel, tandis qu’une autre enfourche un bouc, symbole du diable et de la luxure… L’artiste allemand Hans Baldung Grien, formé dans l’atelier de Dürer, témoigna d’un intérêt prononcé pour les motifs de sorcellerie. Il faut dire qu’en ce début de XVIe siècle, le sujet inquiète les esprits. Vers 1487, un traité rédigé par des inquisiteurs allemands, Malleus maleficarum (ou Le Marteau des sorcières), prend appui sur les récits bibliques et des théories scientifiques pour affirmer que la femme serait par nature plus faible, versatile et emportée que les hommes… ce qui la rendrait plus vulnérable aux esprits malins. « Ces idées ont été largement diffusées par l’imprimerie naissante. La chasse aux sorcières commence à la fin du Moyen Âge et se développe jusqu’au XVIIe siècle », relève Elsa Gomez. Une vision polarisée de la figure féminine se diffuse : la femme doit veiller à prendre pour modèle la Vierge Marie si elle ne veut pas être considérée comme une sorcière.
Que signifie le regard intense et mystérieux de cette femme dénudée brandissant une épée et une tête coupée ? Dans l’Ancien Testament, cette jeune veuve, belle et chaste, a délivré sa ville assiégée par le général Holopherne, en décapitant ce dernier dans son sommeil après l’avoir séduit et enivré. Si les femmes sont exclues du champ militaire au Moyen Âge et à la Renaissance, les artistes représentent néanmoins des femmes en armes. Ils puisent leur inspiration dans la Bible – Débora ou Judith –, et dans l’Antiquité gréco-romaine – les Amazones ou Lucrèce. Judith figure ainsi le courage, considéré comme une vertu virile. Brandissant une épée, elle incarne, aussi, la justice… Mais la nudité de cette Judith, dont la sensualité est exacerbée par un voile transparent qui la révèle plus qu’il ne la cache et un manteau rouge tombant de ses épaules, éveille autant l’admiration que le désir…
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La vraie place des femmes au XVIe siècle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La vraie place des femmes au XVIe siècle