Le Musée des impressionnismes-Giverny rend hommage à Joan Mitchell, monument de l’art américain qui a vécu à Vétheuil.
GIVERNY - Silhouette longiligne, visage caché derrière une lourde frange et d’immenses lunettes à verres fumés, cigarette à la main, Joan Mitchell (1926-1992) reçoit Angeliki Haas venue l’interviewer dans sa maison-atelier de Vétheuil, petite commune située à quelques kilomètres de Giverny (Eure). Echappée de New York, la peintre américaine y est installée depuis 1967, soit une petite dizaine d’années à l’époque du tournage, et y poursuit sans relâche son travail d’exploration de la toile, de la lumière et de la couleur. En une douzaine de minutes, ce film inédit en France et diffusé dans les salles du Musée des impressionnismes-Giverny, dans le cadre d’une mini-rétrospective de l’œuvre de la peintre américaine, dévoile une Joan Mitchell un peu gauche mais passionnée, voire dévorée, par son métier. En citant Vincent Van Gogh, pour qui elle nourrissait une admiration sans borne, l’artiste rappelle implicitement qu’elle préfère se réclamer du Hollandais d’Auvers-sur-Oise plutôt que de Claude Monet, son illustre voisin givernois à la proximité visiblement envahissante.
Issue du mouvement expressionniste abstrait des années 1950, Mitchell s’est distinguée de ses pairs (Pollock, Rothko, Gorky…) en s’appliquant à exprimer les sentiments que lui provoquait l’observation de la nature. Travaillant de mémoire, les rideaux de son atelier fermés, la peintre ne jurait que par l’équilibre de ses compositions, cette harmonie formelle qui fait qu’une œuvre, comme elle l’explique à Angeliki Haas, « fonctionne ou ne fonctionne pas ». Le rythme (accru par l’usage du polyptyque dont les multiples panneaux sont autant de respirations) et la musicalité des toiles saturées d’énergie colorée réunies à Giverny plaident en faveur du statut de l’« artiste charnière ». Joan Mitchell ou cette fameuse « hésitation fondamentale […] entre la tentation impressionniste du paysage et les formes emblématiques des expressionnistes abstraits », selon la formule de la critique Rosalind Krauss reprise dans le catalogue par la commissaire Sophie Lévy. Subtile alliance entre la nervosité racée du modernisme américain et les recherches poussées du travail tardif de… Claude Monet, la peinture de Mitchell offre un univers dans lequel il est difficile de ne pas se laisser emporter. Seul intrus dans l’accrochage, les Nymphéas avec rameaux de saule (v. 1916-1919), par le patriarche de Giverny, soulignent (discrètement) cette filiation devenue évidente. L’Américaine aurait-elle approuvé ? Ce lien « demande à être réétudié », plaide Sophie Lévy.
Nombreux polyptyques
Fort du succès de son exposition inaugurale célébrant les jardins de Claude Monet (plus de 100 000 visiteurs en moins de quatre mois), le Musée de Giverny entame sa mission de valorisation de « tous les impressionnismes », en accueillant cette rétrospective dont l’initiative revient conjointement au Palazzo Magnani à Reggio Emilia (Italie) et à la Kunsthalle d’Emden (Allemagne) – l’exposition a été inaugurée à Emden en décembre 2008 avant d’être présentée en Italie au printemps dernier. À Giverny, le commissariat a été remis à Sophie Lévy, figure historique du lieu s’il en est – fraîchement nommée à la tête du Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq, elle a longtemps dirigé le Musée d’art américain de la Terra Foundation, ancêtre de l’actuel Musée de Giverny. La sélection a été revue à la baisse, avec le souci de ne conserver que les plus grands formats, à une exception près. Place donc aux œuvres magistrales, dont nombre de polyptyques époustouflants : Edrita Fried (1981) ; Un Jardin pour Audrey (1979) ; Sud (1990). Un bonheur ne venant jamais seul, cette exposition est aussi l’occasion pour le musée d’étoffer sa collection à peine esquissée grâce au dépôt à long terme de La Grande Vallée IX (1983-1984), dû à la générosité du FRAC [Fonds régional d’art contemporain] Haute-Normandie. Un début prometteur.
JOAN MITCHELL, PEINTURES, jusqu’au 31 octobre, Musée des impressionnismes-Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny, tél. 02 32 51 94 65, www.mdig.fr, tlj 10h-18h. Catalogue bilingue français-italien (disponible également en version anglais-allemand chez Kehrer Verlag), Skira, 232 p., 39 euros, ISBN 978-88-572-0240-2.
JOAN MITCHELL
Commissaire : Sophie Lévy, directrice du Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq
Nombre d’œuvres : près d’une vingtaine de toiles réparties dans trois salles
Mécénat : Terra Foundation for American Art
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La voisine de Vétheuil
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : La voisine de Vétheuil