Art contemporain

XXE SIÈCLE

La veine Picasso se tarit à nîmes

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2019 - 877 mots

NÎMES

L’exposition du Carré d’art sur l’engagement du peintre durant la Seconde Guerre mondiale montre les limites d’une exploitation intensive et pas toujours pertinente de la « marque » Picasso.

Nîmes. L’opération lancée par le Musée Picasso à Paris, qui a donné lieu au moins à une quarantaine d’expositions dans le Midi n’arrive-t-elle pas à épuisement ?

On pourrait le craindre, car la manifestation de Nîmes, nommée « Picasso. Le temps des conflits », n’atteint pas la qualité habituelle du Carré d’Art. À commencer par le titre, volontairement ambigu. S’agit-il de conflits politiques ou sociaux ou plutôt de conflits intérieurs, ces obsessions créatrices qui ne quittent jamais l’artiste ? Selon les organisateurs, pendant la Seconde Guerre mondiale, chez Picasso « l’espace domestique qui remplace les champs de bataille est le théâtre de conflits sans cesse renouvelés dans un jeu amour haine ». Sans doute, mais la violence chez le peintre espagnol n’avait pas attendu les guerres pour s’exprimer. Les pulsions agressives, le désir de jouissance et de destruction, essentiellement de la chair féminine – corps ou visage –, ont toujours participé à ses gestes artistiques. Violence et même cruauté avec Le Chat et l’oiseau (1939), dans cette scène hallucinante, où l’animal présente sa proie avec une satisfaction non dissimulée.

Des interprétations très libres

Le parcours démarre avec ce monument de l’engagement de Picasso qu’est Guernica (1937). On s’en doute, pas plus que pour l’exposition parisienne, cette icône n’a quitté les cimaises du Musée de la Reina Sofia à Madrid. Son évocation ici se limite à quelques photos de Dora Maar, à la projection du film d’Alain Resnais et à une série de dessins de l’artiste brésilien, Gabriel Borba Filho, inspirés par cette œuvre (1977). Si l’on peut se consoler avec les quelques versions de la Femme qui pleure, exécutées la même année et dont le sujet et le traitement comportent des ressemblances avec Guernica, l’ensemble reste néanmoins maigre.

Mais, c’est la salle suivante qui pose problème quant à la démonstration voulue ici. Certes, La Suppliante, déchirante, monumentale malgré sa petite taille, s’inscrit parfaitement dans une thématique tragique. En revanche, on peine à comprendre en quoi Buste de femme au chapeau bleu (1944) ou Tête de femme souriante (1943) illustrent un quelconque conflit, sauf si l’on considère toute déformation comme un indice de violence. De même, si Pichet et squelette (1945) ou Tête de mouton écorchée (1939) ne respirent pas la joie, c’est aussi le cas de nombreuses vanités dans la tradition espagnole. Plus gênante encore est l’interprétation adaptée aux propos de l’exposition de Tête de taureau (1942), ce célèbre assemblage où Picasso métamorphose une selle et un guidon de vélo en un crâne d’animal. Selon le panneau pédagogique, la tête « devient pendant la guerre un crâne décharné ». Pour enfoncer le clou, dans l’introduction traditionnelle à la présentation de l’exposition, l’élu local s’enflamme : « Épicentre de sa perception de l’univers taurin, il était naturel que Nîmes se positionne comme moment majeur de Picasso-Méditerranée. » Et, de fait, dans la dernière salle, le spectateur a droit à quelques corridas, où, dans le cas de l’une d’elles, cette scène est superposée à une crucifixion. Chemin faisant, il passe devant quelques dessins préparatoires pour La Guerre et la Paix (1952), réalisés pour la chapelle du château de Vallauris ou quelques études pour la sculpture L’homme au mouton (1942).

En fin de parcours, on se heurte à ce mur humain qu’est le Massacre en Corée (1951) [voir illustration]. Indiscutablement, l’œuvre a sa place ici. Cependant, cette toile, lointain écho de Manet et de Goya, semble comme pétrifiée, et reste bien loin du cri tragique qui émane de Guernica.

Sur Les chemins escarpés des conflits et de la violence  

 

NÎMES. L’exposition Picasso donne l’occasion à Jean-Marc Prévost, directeur du Musée du Carré d’art et commissaire de l’exposition « Picasso. Le temps des conflits » de présenter d’autres artistes moins connus, concernés par des conflits violents, car leurs existences furent souvent bouleversées par cette réalité tragique. Dans ce parcours intitulé « Lignes de Fuite » et centré autour de destins sociaux et politiques, les « sujets » se déplacent sur un échiquier géant et deviennent synonymes de l’errance perpétuelle. Ce n’est pas un simple hasard si tous ces créateurs ont quitté leur pays d’origine, formant une sorte de diaspora artistique universelle.Ainsi, le Palestinien Khalil Rabah évoque la condition de son peuple avec une toile trouée, fixée sur un très long châssis, qui représente un paysage urbain, entre favela brésilienne et camp palestinien (Acompamento Vila Nova Palestina, 2017). Ailleurs, Mounira Al Solh, Libanaise, avec un ensemble de dessins, met en scène 75 personnes et leurs histoires personnelles. Aucun pathos, rien que des récits simples, tous les mêmes, tous différents. (I strongly believe in our right to be frivolous, 2012). Ailleurs encore, Adrian Paci, né en Albanie, montre lui aussi quatre personnages que l’on devine être des réfugiés dans The Procession, 2016. Enfin, Ibro Hasanovic (Ljubovija, ex-Yougoslavie) propose une vidéo réalisée à Pristina au Kosovo, où, dans une gare les gens se séparent sans savoir quand ils se reverront (Note on Multitude, 2015). Cette manifestation qui s’inscrit dans l’actualité, réunit des œuvres récentes, qui partagent l’expression silencieuse et effrayante de la violence d’un siècle marqué par des exodes de masse.

Itzhak Goldberg

 
Lignes de fuite. Carré d’Art, jusqu’au 3 mars, place de la Maison carrée, 30000 Nîmes.
Picasso. Le temps des conflits,
jusqu’au 3 mars, Carré d’Art, place de la Maison carrée, 30000 Nîmes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : La veine Picasso se tarit à nîmes

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