Remisant au rang de vieux souvenirs les antagonismes séculaires, un nouveau pont vient de relier le Danemark et la Suède. Cet ouvrage d’art tisse un lien symbolique entre les deux États pour former une nouvelle région : l’Øresund. Financée par la fondation « Kulturbro », une biennale et un festival célèbrent une nouvelle collaboration culturelle.
COPENHAGUE - Selon la légende, l’île de Zélande, sur laquelle se situe aujourd’hui la capitale danoise, Copenhague, était autrefois reliée à la Suède continentale. Elle en fut détachée à la suite d’une dispute qui opposa le roi suédois Gylfe à la déesse Gefion. Cette dernière transforma ses propres fils en bœufs sacrés et creusa le sol de la Suède jusqu’à la mer, donnant naissance à l’île de Zélande et au bras de mer connu sous le nom d’Øresund (le Sund). Ce dernier sépare l’île de la Scanie, la partie la plus méridionale de la Suède. Depuis le 1er juillet, ces deux terres sont (à nouveau) reliées grâce à une structure de 16 kilomètres composée d’un pont, d’un tunnel et d’une île artificielle, pour un coût de 2 milliards de dollars. Aussi une nouvelle région est née, celle d’Øresund.
Les siècles de mésentente politique et de snobisme nationaliste – les Suédois trouvent les Danois bizarres et les Danois estiment que les Suédois sont ennuyeux – et de guerres opposant la Suède au Danemark, sont loin aujourd’hui grâce à Kulturbro 2000 (en français “le pont de la Culture”). Cette manifestation, à la fois biennale et festival, se déroule sur trois mois et s’ouvre à l’art, à la musique, au théâtre et à la danse. Si le lien physique matérialisé par l’Øresund semble avantager les Suédois, puisqu’il leur facilite l’accès par la route à l’Europe du Sud, les deux nations devraient pouvoir tirer parti du pont culturel qui leur permettra d’échanger des idées et de comparer des travaux à grande échelle.
Pour ce faire, la fondation Kulturbro a été créée en 1997 par l’actuel directeur de la Tate Modern, Lars Nittve, quand il dirigeait le célèbre Louisiana Museum of Modern Art, au Danemark. Cette institution a pour but de promouvoir les échanges culturels et “la construction d’un pont intellectuel” entre les Suédois et les Danois, à côté de la réalisation du pont matériel à proprement parler.
Depuis trois ans, la fondation encourage les meilleurs théâtres, opéras, musées, galeries, conservateurs, commissaires d’expositions et artistes suédois et danois à travailler ensemble, et ce souvent pour la première fois. Les ministères de la Culture suédois et danois ont alloué des fonds importants à Kulturbro. Par ailleurs, les villes de Copenhague et de Malmö ont contribué à hauteur d’un tiers au budget de la biennale qui s’élève à 95 millions de couronnes danoises (environ 91 millions de francs). Quelque 12 millions de couronnes danoises proviennent de mécènes tels que SAS Scandinavian Airlines, Novo Nordisk et la Den Danske Bank.
Près de cent institutions et cinquante-cinq projets indépendants ont bénéficié des subventions de l’organisme, qui finance les idées et les collaborations novatrices et expérimentales. Elle a par exemple soutenu “ Dream Projects ” qui, sans son aide financière, n’aurait jamais pu voir le jour, et alloué 1 à 1,5 million de couronnes danoises supplémentaires à toutes les institutions participant à Kulturbro. Stefan Sköld, directeur du Musée de la musique de Malmö et successeur de Lars Nittve à la direction de Kulturbro, nourrit des projets à long terme pour la biennale, qu’il souhaite des plus prestigieuses. En effet, il désire enrichir encore davantage l’édition de 2002 en l’élargissant à la littérature et à la philosophie. “En premier lieu, nous devons établir des connexions culturelles avec nos voisins en apprenant la langue et en nous familiarisant avec la mentalité de l’autre. Alors, les deux ponts, physique et culturel, finiront par se rejoindre”, a-t-il déclaré.
“On the border” (à la limite), thème informel de Kulturbro 2000, traite du passage d’un siècle à l’autre, de l’effacement des frontières nationales entre le Danemark et la Suède, et des limites de la créativité. Selon Stefan Sköld, la région de l’Øresund est “une mine d’or culturelle”. La première édition de Kulturbro met ainsi l’accent sur l’extraordinaire concentration d’institutions dans cette région.
En Suède
“A century of innocence” (un siècle d’innocence) est, d’un point de vue conceptuel, l’une des expositions les plus intéressantes. Le Rooseum, qui accueillera cet événement, verra ses murs blancs couverts de toiles blanches, ou presque blanches. Une présentation non chronologique retrace l’histoire du phénomène du monochrome blanc au XXe siècle, avec notamment Carré blanc sur fond blanc (1917), œuvre essentielle de Malevitch, des pièces des années soixante de Jasper Johns et Sol LeWitt, et d’autres illustrant le principe de surface minimale, signées d’artistes contemporains scandinaves.
Le Museum of Art de Malmö rend hommage à Carl Frederik Hill, artiste aussi important pour la peinture de paysage suédoise que Turner peut l’être pour l’École anglaise. Il a vécu à Paris au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, s’est imprégné de l’Impressionnisme et en particulier du travail de Corot. Souffrant d’une maladie mentale à la fin des années 1880, il rentre à Lund, en Suède, où il passe près de trente ans à produire des dessins à la craie de couleur, au fusain et à l’encre de Chine, souvent sur du papier d’emballage brun. Cette exposition constitue une rare occasion de pouvoir admirer la collection unique de ces études tourmentées conservées au Musée de Malmö.
La totalité de l’espace d’exposition de la Konsthal de Malmö est consacrée à une installation de Peter Greenaway, librement inspirée du mythe d’Icare. Intitulée Flying over water (vol au-dessus de l’eau), elle est composée de glace qui, en fondant, se répand sur le sol du musée.
Le parc de sculptures de Wanås, dans le nord de la Scanie, mérite le détour quelle que soit la saison et indépendamment des expositions présentées. Une œuvre permanente y a été commandée à Dan Graham, Two anamorphic surfaces (deux surfaces anamorphiques). Il s’agit d’un pavillon comprenant deux surfaces semi-transparentes avec un effet de miroir reflétant les environs et permettant de voir à travers la sculpture.
Au Danemark
Le Statens Museum for Kunst, Musée national danois, accueille une exposition franchement partiale “Danish and European Symbolism 1870-1910” (Symbolisme danois et européen). Elle présente le Danois Wilhelm Hammershøi au sein d’une sélection impressionnante de peintres symbolistes, tels que le Norvégien Edvard Munch, le Finlandais Akseli Gallen-Kallela et le Français Gustave Moreau. Mais rendons justice au commissaire, puisque les peintres symbolistes suédois étaient peu nombreux et nettement moins intéressants.
L’association artistique Kunstforeningen, de Copenhague, présente une installation multimédia qui couvre l’histoire de l’art, de l’Âge d’or à l’art contemporain. La New-Yorkaise Andrea Zittel a conçu un hommage à la nouvelle région d’Øresund, une performance sur l’eau intitulée Pocket properties: an A-Z land brand (possessions de poche : repères de A à Z). Les activités de l’artiste, qui vit sur une petite île artificielle au milieu du Sund, seront retransmises en direct. Les visiteurs pourront aussi la voir en train de se brosser les dents et de manger pendant son exil sur son île flottante.
“Vision and reality – conceptions of the twentieth century” (vision et réalité – conceptions du XXe siècle), au Louisiana Museum of Modern Art, montre comment les avant-gardes russes, italiennes et hollandaises ont radicalisé le traitement de l’espace, du mouvement, de l’homme et de la forme. Les visionnaires du Constructivisme, du Futurisme et du groupe De Stijl sont représentés grâce à des installations sensorielles, recréant, par exemple, l’atelier de Mondrian. Des artistes contemporains ont réalisé des œuvres qui répondent à ces avancées du début du XXe siècle. Quatre pavillons ont été construits en extérieur par Olafur Eliasson et James Turrell, en collaboration avec les architectes Daniel Libeskind et Matti Suuronen.
Le Kunstindustrimuseum, Musée danois des arts décoratifs, a confié à Robert Wilson un accrochage inédit de certaines des pièces de sa collection. “Anna did not come home that night” (Anna n’est pas rentrée cette nuit-là) raconte en dix-neuf tableaux les recherches menées pour retrouver une fille disparue, chacun des tableaux matérialisant une rencontre entre l’architecture minimaliste de l’exposition, réalisée par Wilson, et les objets du musée. L’une des installations est un dîner pour trente personnes mettant en scène la porcelaine, les verres et les couverts du musée, de véritables plats cuisinés, de la musique et la diffusion d’arômes dans l’atmosphère.
La Ny Carlsberg Glyptothek, en association avec le Musée d’Orsay, tente de réveiller les morts avec “Gloria Victis! Victors and vanquished in French art 1848-1910” (vainqueurs et vaincus dans l’art français, 1848-1910), qui établit une comparaison entre les œuvres célèbres des Salons de l’époque aujourd’hui passées de mode, et des œuvres de Manet, Monet, Renoir, Rodin, chefs-d’œuvre incontestés selon les critères actuels. Le résultat est assez proche de l’exposition “1900”, récemment présentée à la Royal Academy, ce qui s’explique par le fait que la Glyptothek fut elle aussi un bastion du classicisme et de la tradition en matière d’art.
Le Museum of Modern Art d’Arken, près de Copenhague, présente une étude sur les performances corporelles et les actions artistiques, intitulée “MAN– Body in art from 1950-2000” (le corps dans l’art de 1950 à 2000).
Le Musée d’Ordrupgaard propose une exposition d’œuvres d’Eugène Delacroix, sous le titre “The music of painting” (la musique de la peinture).
Entre les deux
“Waterfront”, exposition partagée entre Helsingør, au Danemark, et Helsingborg, en Suède, les deux villes les plus proches, au nord de la péninsule, présente dans des espaces publics des sculptures et des installations d’artistes internationaux, tels que Francis Alÿs, Jimmie Durham, Pipilotti Rist, Zhang Huan et Knut Åsdam.
- KULTURBRO 2000, divers lieux en Suède et au Danemark, jusqu’au 15 décembre, tél. 45 33257 7400, www.kulturbro.com
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La Scandinavie fait cause commune pour les arts
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : La Scandinavie fait cause commune pour les arts