Depuis la fin des années 1980, l’artiste américaine Rita McBride produit une œuvre grinçante, contemporaine de la course au progrès, de la standardisation et de la mondialisation.
À travers une vingtaine de pièces, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne offre la première exposition monographique en France de cette artiste, et donne l’occasion d’appréhender un travail clé au sein d’une tendance aujourd’hui partagée par de nombreux artistes qui mêlent art, design et architecture.
VILLEURBANNE - Pour un architecte en costume noir, l’actuelle exposition de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne est un petit musée des horreurs. Une bouche d’aération apprêtée en sculpture minimale (White Elephant, 1999), des auvents de bistrots – habituels ajouts bâtards sur des façades jusque-là neutres – célébrés pour leur simple dimension formelle (Anwing, 2001) [Auvents], ou encore une structure de tenségrité rendue précieuse et inapte à tout effort architectonique, parce que produite en bronze et en verre de Murano (Space Frame, 1997) [Structure spatiale] : voici quelques-unes des œuvres imaginées par Rita McBride. Il existe en fait deux voies pour se frayer un passage dans le corpus développé depuis la fin des années 1980 par l’artiste. La première passe par le minimalisme et son dépassement dans les années 1970. En bonne étudiante californienne, Rita McBride connaît cette histoire par cœur et se plaît à la rejouer de façon figurative. Ses Machines (2001), bornes d’arcades de jeux vidéo réalisées en émail vitrifié, perdent en fonction ce qu’elles gagnent en forme, mais elles conservent la saveur célibataire et éminemment masculine de l’activité ludique. La deuxième voie, peut-être plus européenne, se nourrit de la critique de l’architecture moderne.
Dans le hall d’entrée de l’Institut, Backsliding, Sideslipping, one Great Leap and the “Forbidden” (1994-2002) [Récidive, dérapage, un grand bond et l’”interdit”] joue sur les deux tableaux. Reproduction à l’échelle 1 du rez-de-chaussée de la Villa Savoye construite entre 1929 et 1939 par Le Corbusier, la pièce tient autant de la “mise en boîte” – au sens littéral du terme – que d’une proposition sculpturale. Situé au niveau zéro de la construction, le plateau avec sa rampe n’est qu’un lieu de passage pour les maîtres qui vivent à l’étage, mais il est un espace d’habitation pour les domestiques. Bref, une proposition novatrice qui reconduit le vieil ordre social. Comme pour renforcer l’ambiguïté du lieu, l’artiste a disposé au sol une série de petits personnages de bronze. Ces bossus (Hunchback, 1994) apparaissent tel un symbole probable des contraintes et du poids de l’architecture moderne. Mais, plus que la critique des “maîtres” (une autre proposition de l’artiste visait à la mise en place d’un toit gonflable sur la Neue Nationalgalerie de Berlin construite par Mies van der Rohe), c’est le règne de la “non-architecture” qui attire l’attention de Rita McBride et l’amène à sacraliser quelques-uns de ses fleurons, comme ces maquettes de parking coulées dans le bronze (JFK/LGA, 2001). Dans le même sens, National Chain [Chaîne nationale] rend visible un profil de fixation de faux plafonds en le transformant en grille. Placée à 1,22 m du sol, la structure est dans une position mixte : elle oblige le visiteur à se courber pour traverser les trois salles qu’elle occupe, mais lui permet de surplomber la situation en passant la tête pour profiter d’un espace parfaitement quadrillé. Schéma de développement parfait, cette vision correspond assez bien au titre de l’exposition, “Croissance générale”.
Développement durable
L’optimisme économique est pourtant sapé à maintes reprises. En faisant fabriquer dans du verre de Murano une chaise Thonet (Chair, 1997), Rita McBride prend tout simplement les choses à l’envers. Elle recourt à l’artisanat pour manufacturer ce qui fut le premier élément de mobilier produit en série. Un paradoxe comparable réside dans Toyota (1990), un prototype de voiture réalisé en rotin par des artisans philippins. La sculpture entrecroise des savoirs et des formes et mène à son paradoxe la logique commerciale de la délocalisation. Au final, l’objet n’est d’ailleurs pas plus exotique qu’un tabouret “Pier Import”. Le même principe de contraste est reconduit dans Two Towers (1990). Ces deux gigantesques paniers en osier en forme de cheminées de centrale nucléaire – qui ne sont pas sans rappeler les cônes en osier produits par Mario Merz dans les années 1970 – incarnent sous une forme pervertie quelques-uns des fantasmes sur le développement durable.
Jusqu’au 12 janvier 2003, Institut d’art contemporain, 11 rue Docteur Dolard, Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 04, tlj sauf mardi de 13h à 18h, le mercredi jusqu’à 20h, www.o-art-c.org. Catalogue, 72 p., 20 euros.
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À la santé du capital
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : À la santé du capital