Ce séduisant paysagiste des environs de Paris fait l’objet de plusieurs expositions franciliennes donnant à voir la banlieue d’antan.
Issy-les-Moulineaux. Il fait partie de ces artistes qui, sous la Troisième République, ont décoré les mairies des villes de la banlieue parisienne. Le paysagiste Constant Pape (1865-1920) a ainsi réalisé en 1902 un panneau de décor mural pour la mairie de Villemomble, puis représenté vers 1907 les coins charmants de Noisy-le-Sec pour la salle des fêtes de sa mairie (les dix panneaux sont aujourd’hui inscrits au titre des monuments historiques) et, en 1917, peint un panneau décoratif pour le secrétariat de la mairie de Clamart. Il a en outre concouru pour le décor des salles des fêtes de la mairie de Fresnes (1906) et de la mairie de Vanves (1911).
Pour décorer son hôtel de Ville, la municipalité d’Issy-les-Moulineaux lui a acheté trois toiles de très grand format après leur présentation au Salon des artistes français, Vieille Carrière à Issy-les-Moulineaux (1905), La Seine à Issy-les-Moulineaux (1907) et Les Brillants, Meudon (1913), et une autre qui a disparu. Une campagne de restauration a permis de leur rendre leur éclat de même qu’aux œuvres de Pape appartenant au Musée d’art et d’histoire de Meudon. Parallèlement, Charlotte Guinois, responsable des collections du Musée de la carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux et Marianne Lombardi, directrice du Musée d’art et d’histoire de Meudon ont, avec l’historien de l’art Florian Goutagneux, entrepris d’importantes recherches sur le peintre pour établir un premier catalogue et assurer le commissariat de son exposition monographique en deux parties (à Issy, puis à Meudon en 2024), avant une présentation supplémentaire d’œuvres à Clamart en 2025.
Si son père n’avait pas été aubergiste, Constant Pape ne serait sans doute pas devenu peintre. Installée boulevard de Fleury à Clamart, tout près de Meudon, la guinguette familiale accueillait des artistes de l’école de Barbizon. Quelques œuvres attestent de leur goût pour cette nature si proche de la capitale, telles La Seine au Bas-Meudon de Louis Français (1860), Le Bas-Meudon de Léon Germain Pelouse (entre 1885 et 1891), ou encore Paris vu de la butte des Moulineaux d’Antoine Guillemet (vers 1897), accrochée dans l’exposition isséenne. Se présentant d’abord comme élève de Tristan Lacroix, Pape se réclamera plus tard de Louis Français et Antoine Guillemet. Si les uns ou les autres ont pu le côtoyer, voire le conseiller, on sait que le jeune homme a appris le métier au cours supérieur de dessin de la Ville de Paris dirigé par Auguste Truphème. Il expose dès 1886 au Salon des artistes français auquel il restera fidèle toute sa vie.
Paysage de sous-bois à l’arbre couché (1889) montre la maîtrise acquise tôt par l’artiste qui, peignant un sujet dans la lignée de l’école de Barbizon, adopte une touche très libre et se concentre sur le rendu de la lumière. Il n’ignore pas l’impressionnisme auquel il emprunte parfois en conservant un style plus consensuel : en 1905, dans Vieille Carrière, à Issy-les-Moulineaux, il juxtapose des touches de couleur pure pour rendre la paroi verticale. Il utilise le même procédé pour peindre les blocs de pierre blanche et les arbres agités par le vent d’Une Vieille carrière dans la plaine de Clamart (non daté). Le tableau de grand format, La Seine à Issy-les-Moulineaux (1907) conjugue de la même manière une partie « impressionniste » dans le traitement de la berge au premier plan et un style plus proche de l’école de Barbizon pour le reste de l’œuvre. Le pont de Billancourt qu’on y voit constitue une rare touche de modernité chez un artiste qui cherche plutôt une ruralité intemporelle.
Cette nostalgie fait tout le charme des panneaux de 14 x 18 cm peints rapidement de manière très enlevée qui montrent les constructions anciennes de ces villes de banlieue encore protégées. Ces vues souvent ensoleillées habitées de rares personnages étaient peut-être dérivées de cartes postales ou de photographies. Faciles à vendre, elles devaient assurer un complément de revenu à cet artiste qui, bien que produisant beaucoup, a également gardé toute sa vie une activité de restaurateur pour les galeries et musées.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La jolie banlieue de Constant Pape