PARIS
« Mondes tsiganes » démonte les mécanismes qui ont conduit à la relégation sociale de ces peuples. Parallèlement est montré le regard bienveillant de Mathieu Pernot sur une famille Rom.
Paris. C’est une exposition engagée. Il y est question du racisme ordinaire et des discriminations qu’ont endurés les Tsiganes, Roms, Manouches et autres Gitans depuis la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 1980. Pour rendre compte de cet ostracisme de manière documentée, Ilsen About, Mathieu Pernot et Adèle Sutre, les commissaires de l’exposition du Musée national de l’histoire de l’immigration, prennent appui sur cent cinquante ans d’histoire de la photographie. « Celle-ci est mise à contribution pour comprendre le rôle déterminant des images dans la construction des stéréotypes », analyse Benjamin Stora, le président du conseil d’orientation de l’établissement public du Palais de la porte Dorée. Comment et en quoi la photographie a-t-elle contribué au regard dépréciatif porté sur les Tsiganes ? Quels ont été les mécanismes de cette mise à l’écart ? C’est à ces questions que tente de répondre, à travers quelque 800 photographies, « Mondes tsiganes. La fabrique des images ». Ces clichés disent la fascination qu’exerce ce peuple sans frontière, sans cesse perçu comme étranger, sur les artistes, reporters et autres photographes.
L’exposition, articulée en deux parties à la fois chronologiques et thématiques, s’ouvre sur des portraits anthropologiques datant de la fin du XIXe siècle. À cette époque, de nouvelles méthodes policières d’identification des personnes se mettent en place. Dès 1907, des brigades mobiles sont chargées de photographier les « vagabonds, nomades et romanichels ». Les Tsiganes, saisis de face et de profil, sont appréhendés d’emblée comme des êtres irréductibles et potentiellement criminels. La loi de 1912 visant à encadrer ces populations réputées instables scinde les Tsiganes en trois catégories : marchands ambulants, forains et nomades. Ces derniers sont obligés de porter un carnet anthropométrique, individuel et collectif, visé par les autorités de la commune à leur arrivée et à leur départ.
Craints, les gens du voyage fascinent aussi. Fascination à l’égard des femmes tsiganes, sensuelles et mystérieuses, comme envers les hommes, réputés rudes et fiers. La presse de l’époque enfile les stéréotypes véhiculant un « imaginaire de vagabondage et d’exode sans fin », « le crime, le vol et la tromperie occupant inlassablement les gros titres » (d’après le texte du catalogue, éd. Actes Sud).
La seconde partie de l’exposition est consacrée au travail que Mathieu Pernot a réalisé entre 1995 et 2015 sur les Gorgan, une famille rom installée en France depuis un siècle. Le photographe l’a rencontrée à Arles, au milieu des années 1990, lors des ses études à l’École nationale supérieure de la photographie. Les Gorgan ne sont pas, ici, seulement sujet d’étude. Ils sont aussi des acteurs qui ont été associés au choix des images de Mathieu Pernot, mélangées avec des photos provenant des archives familiales. « L’exposition retrace l’histoire de cette famille que nous avons construite ensemble. Face à face. Et désormais côte à côte », souligne le photographe et co-commissaire de « Mondes tsiganes ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : La fabrique des stéréotypes anti-tsiganes