NANTES
Le château des ducs de Bretagne décrypte les rapports houleux entre la Chine et l’Europe aux XVIIIe et XIXe siècles.
NANTES - En octobre, la Chine va célébrer l’anniversaire d’un des épisodes les plus douloureux de son histoire commune avec l’Occident : les 150 ans du sac et de l’incendie par les troupes françaises et britanniques du palais d’Été, à Pékin, fleuron du patrimoine chinois. De son côté, la France préfère rester discrète sur cet épisode peu glorieux de son passé. Il faut donc saluer l’initiative du château des ducs de Bretagne, à Nantes, qui s’attaque au sujet en évoquant plus largement l’histoire des rapports de la France et de l’Europe avec l’Empire chinois. L’exposition a été montée en partenariat avec le Musée Guimet, preuve de la nouvelle volonté de l’établissement public parisien de travailler en synergie avec d’autres musées. « L’histoire entre la Chine et l’Europe est une succession de malentendus. Nous voulions mettre en avant l’idée d’un basculement dans les relations franco-chinoises, qui aboutit en 1860 au pillage et à l’incendie du palais d’Été. Il s’agit d’expliquer comment on est passé d’une relation largement dominée par la Chine au XVIIIe siècle à des expéditions coloniales », résume Bertrand Guillet, l’un des commissaires de la manifestation.
Riche d’enseignement, facile d’accès, le propos est servi par une scénographie vivante et audacieuse permettant de mieux s’intéresser à cette histoire peu connue en France. Trois grandes thématiques scindent l’ensemble. Un décor maritime, avec ustensiles de navigation, maquettes, cartes géographiques, scènes de négoce et porcelaines, évoque l’épopée des navires partis de Nantes pour rejoindre les comptoirs chinois, à commencer par L’Amphitrite, premier navire français à commercer directement avec la Chine en 1700. Le commerce s’organise autour du thé, des porcelaines et de la soie qui connaissent un franc succès en Europe, mais aussi de la nacre, de l’ivoire, des panneaux laqués ou de l’or. Le deuxième chapitre témoigne de l’engouement européen pour la Chine avec des pièces tel un paravent chinois à douze feuilles de la période Kangxi (1662-1722), ou des créations françaises à la mode chinoise.
La tragédie du palais d’Été
Les Jésuites jouent un rôle de premier plan dans cette découverte de l’Empire du milieu, à l’image du père Castiglione arrivé en 1715 à la cour de Pékin, auteur du fameux Portrait de l’empereur Qianlong (vers 1736) conservé au Musée Guimet. Le commerce est alors dominé par les Chinois jusqu’à ce que le rapport de force s’inverse au cours du XIXe siècle. Arrivé au pouvoir en 1839, le mandarin Lin Zexu décide de combattre le commerce de l’opium au grand dam des Britanniques qui lancent, dès 1840, les guerres d’opium auxquelles participera la France. Pour témoigner de cette période tragique, les dernières salles s’appuient sur les photographies de guerre réalisées en 1860 par Felice Beato et sur les nombreuses pièces issues du pillage du palais d’Été. En France, ces œuvres sont aujourd’hui conservées à la fois au Musée chinois de l’impératrice Eugénie du château de Fontainebleau, qui a accepté pour la première fois d’en prêter quelques-unes, au Musée Guimet et au Musée de l’Armée, propriétaire de l’imposant habit militaire de l’empereur Qianlong (1711-1799), celui-là même représenté dans le tableau de Castiglione.
Les célébrations chinoises prévues en octobre pourraient d’ailleurs réveiller un vieux contentieux avec le château de Fontainebleau. Pour Bertrand Guillet, la rétrocession de la propriété de ces objets à la Chine permettrait à ces pièces issues d’un pillage de rester en France tout en reconnaissant leur appartenance à la nation chinoise. Un certain Victor Hugo avait une idée très nette sur la question, comme il l’écrivait en novembre 1861 : « Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre […]. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs. » Avec intelligence, le Musée d’histoire de Nantes soulève ainsi la délicate question de la restitution des œuvres d’art à leurs pays d’origine, sujet tabou dans les musées occidentaux qui craignent pour leurs prestigieuses collections. Ils ne pourront éternellement faire l’économie de ce débat dans un contexte international de plus en plus pressant.
LA SOIE ET LE CANON, FRANCE-CHINE (1700-1860), jusqu’au 7 novembre, château des ducs de Bretagne, Musée d’histoire de Nan tes, 4, place Marc-Elder, 44000 Nantes, www.chateau-nantes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h.
Catalogue, éditions Gallimard, 256 p., 39 euros
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La civilisation et la barbarie
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires : Bertrand Guillet, conservateur en chef du patrimoine et directeur adjoint du château des ducs de Bretagne ; Alain Croix, professeur émérite d’histoire moderne ; Jean-Paul Desroches, conservateur général et responsable du département Chine au Musée Guimet ; Marie-Catherine Rey, conservatrice en chef du Musée Guimet
Nombre d’objets : 250
Scénographie : Pascal Payeur
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : La civilisation et la barbarie