Arabie Saoudite - Biennale

ART ISLAMIQUE ET ART CONTEMPORAIN / VISITE GUIDÉE

La Biennale des Arts islamiques regarde vers le passé

Pour sa seconde édition, la biennale saoudienne accorde une place plus importante aux œuvres du patrimoine islamique qu’en 2023, tout en conservant son lien avec la création contemporaine.

Djeddah (Arabie saoudite). La Biennale des arts islamiques, organisée à nouveau dans l’ancien terminal Hajj de l’aéroport de Djeddah jusqu’au 25 mai 2025, présente près de 500 pièces patrimoniales issues d’institutions internationales de renom, aux côtés des œuvres d’une trentaine d’artistes et de collectifs contemporains. Selon les définitions classiques, les arts islamiques et l’art contemporain ne se recoupent pas chronologiquement. La définition traditionnelle des arts islamiques s’étend de la naissance de la religion musulmane en 632 jusqu’aux années 1920, correspondant notamment à la fin des périodes ottomane et qadjare, tandis que l’art contemporain commence au plus tôt en 1945, avec de fortes variations selon l’histoire des pays. Partant du constat que la production des arts islamiques ne s’est pas arrêtée au XXe siècle, la Biennale cherche à ajouter un chapitre en intégrant l’art contemporain. Ce hiatus temporel revêt une importance particulière pour l’Arabie saoudite, pays fondé en 1932.

Sous l’égide de la Fondation Diriyah, qui organise en alternance la Biennale de Riyad, la Biennale de Djeddah se distingue par son ancrage explicitement confessionnel. Le thème de cette seconde édition s’inspire d’une citation du Coran, reprise dans plusieurs versets : « Et tout ce qui est entre les deux », désignant tous les êtres et toutes les choses créés entre les cieux et la terre. La Biennale est toutefois placée sous l’autorité du ministère de la Culture du pays, et non sous celle du ministère des Affaires islamiques, de l’Appel et de l’Orientation, ce qui la distingue des initiatives culturelles alignées sur la dawa, le prosélytisme islamique à l’égard des non-musulmans.

Contrairement au Musée d’art islamique de Doha, la Biennale de Djeddah a opté pour le pluriel (arts islamiques), une manière de souligner la diversité de ses disciplines artistiques, de la calligraphie aux manuscrits enluminés et miniatures, en passant par le verre, la faïence, l’orfèvrerie, et le textile, sans oublier l’architecture. Le pluriel fait également écho à la vision curatoriale de Muhannad Shono, artiste saoudien et commissaire en charge de la partie contemporaine de la Biennale. Il conçoit la mission de la Biennale comme un dépassement d’une vision figée des arts islamiques pour « diluer le monolithique et le fragmenter en de multiples récits ». Pour lui, « l’art contemporain agit comme un lien entre passé et présent », permettant de le projeter dans l’imaginaire du futur. Issu d’une famille musulmane d’origine russe, il précise que les convictions religieuses ne sont pas un critère de sélection, sachant que la plupart des œuvres contemporaines sont des commandes.

Deux tiers des 34 artistes sélectionnés viennent d’Asie, et la moitié du Moyen-Orient. Le tiers restant est essentiellement constitué d’artistes européens et sud-américains. La présence marquée de la scène saoudienne retient particulièrement l’attention, à l’instar de Mishkah (Lamp) (2025) (voir ill.), une installation lumineuse et olfactive d’Ahmad Angawi inspirée par le roshan, équivalent des moucharabiehs du Hedjaz, région historique de la côte ouest de l’Arabie saoudite. Évoquant les volutes d’encens, l’œuvre se compose de trois suspensions circulaires en bois ajouré, projetant des motifs géométriques sur le sol à travers un jeu d’ombres et de lumière. Installées dans la galerie dédiée à Médine, ces trois surfaces planes flottent, tel un lustre, sans créer d’anachronisme visuel avec les différentes pièces patrimoniales exposées.

Cet échange artistique traverse les continents et les cultures dans le travail de Charwei Tsai. Ce qui au début a un goût amer (2025), une large peinture à l’encre et au mica (pigment minéral scintillant) sur toile de lin incurvée est directement inspirée par un plat à inscription rayonnante de Samarcande, datant de la fin du Xe siècle, prêté par le Musée du Louvre. Imprégnée de la culture bouddhiste, l’artiste taïwanaise a conçu son œuvre en reprenant la circularité de la céramique, exposée devant la toile, et en développant une gestuelle calligraphique centrifuge dans une veine cosmique. Comme l’indique le titre de sa toile, elle s’est également inspirée de l’adage littéraire inscrit en écriture kufique sur le plat : « La magnanimité, son goût est amer au début, mais à la fin plus doux que le miel. La santé. »

Reflétant la diversité des pièces patrimoniales exposées, les artistes invités contemporanéisent ainsi les arts islamiques à travers divers médiums et expressions artistiques, y compris la figuration. À cet égard, Mounia Chekhab-Abudaya, directrice adjointe du Musée d’art islamique de Doha, institution partenaire de la Biennale, rappelle un point important :« Les arts islamiques ne sont pas aniconiques. On remarque la présence de la figuration humaine, animale et végétale dès les débuts de l’Islam. La représentation figurative est notamment très présente dans la production des manuscrits et des céramiques. »

Au final, la nature confessionnelle de la Biennale apparaît moins comme une opération de prosélytisme religieux (à l’instar des initiatives culturelles de l’ICESCO, par exemple) que comme un contrepoint aux canons artistiques occidentaux pour mettre en valeur les ressources artistiques de la « civilisation islamique », une notion souvent reprise par l’équipe curatoriale. Ainsi, les créations contemporaines servent de décodeur pour un public non familier des arts islamiques mais aguerri aux codes de l’art actuel. Cette approche curatoriale n’en est pas moins stratégique : en dialogue avec les mouvances décoloniales, elle rejoint celle d’autres biennales des pays du Sud, comme celle de Sharjah (Sharjah Biennial) aux Émirats arabes unis, de Cochin (Kochi-Muziris Biennale) en Inde et de Yogyakarta (Jogja Biennale) en Indonésie.

Biennale des arts islamiques,
jusqu’au 25 mai, aéroport de Djeddah.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : La Biennale des Arts islamiques regarde vers le passé

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