Le temps d’une exposition inédite, les chefs-d’œuvre de la collection privée romaine, constituée tout au long du XIXe siècle par les princes Torlonia, dialoguent avec ceux du Musée du Louvre.
Par un étonnant paradoxe, la collection Torlonia est aussi mythique que mystérieuse. Son nom est en effet autant connu des connaisseurs que ses œuvres sont discrètes. Ce fonds a la particularité d’avoir parcouru le chemin inverse des grandes institutions, car avant d’être la plus grande collection toujours en mains privées de sculptures antiques, elle fut un musée. Un cas rarissime encadré par l’État italien qui a engagé en 1948 une procédure de classement, au motif que « par tradition, réputation et caractéristiques environnementales particulières, elle présente dans son ensemble un intérêt artistique et historique exceptionnel ». Une mesure enclenchée afin d’éviter que ces 620 œuvres ne soient dispersées ou vendues. L’Italie a ensuite tenté, à de nombreuses occasions, de nationaliser et de remettre sur pied ce musée. En vain. Pendant des décennies ses œuvres ont ainsi été soustraites au regard du public, ne réservant leur accès qu’aux chercheurs sur rendez-vous. Après avoir été montrée à Rome en 2020, la collection prend ses quartiers au Musée du Louvre, un écrin évident tant les deux ensembles statuaires partagent de points communs. Les fonds romains et parisiens présentent tant de similitudes qu’ils apparaissent presque comme des « collections sœurs ». Leur constitution est cependant très différente : le Louvre est l’un des plus anciens musées au monde, tandis que le Musée Torlonia a connu un destin des plus éphémères puisqu’il n’a existé que de 1876 à 1951 en tant qu’institution.
Les convergences sont à rechercher sur les plans historique, esthétique et même philosophique. La proximité la plus frappante est la provenance commune de certaines pièces. Les princes Torlonia, comme les dirigeants du Louvre, ont en effet cherché à enrichir leur fonds d’œuvres au pedigree prestigieux, ayant appartenu aux grandes collections nobiliaires et cardinalices de Rome, à l’instar des marbres jadis conservés à la villa Albani ou dans les collections Borghèse, Médicis, ou encore Savelli et Cesi. La provenance prestigieuse de ces ensembles, dont la constitution remonte pour certains à la Renaissance, représentait une évidente valeur ajoutée à ces luxueuses pièces. Plus surprenant, certaines sculptures viennent aussi des mêmes sites de fouilles, notamment de la villa impériale d’Hérode Atticus. Cette communauté de destin se ressent dans la qualité des objets, mais aussi dans une similarité des genres et des courants représentés. Le marbre se taille ainsi la part du lion dans les ensembles italiens et français, tout comme le portrait qui est omniprésent. Les copies de statues originales grecques célèbres ainsi que l’intérêt pour la période hellénistique sont également des dénominateurs communs. Il en est de même de l’engouement pour l’art funéraire au sein des deux collections qui permet de réunir le temps d’une exposition quelques-uns des plus beaux sarcophages romains.
Ce buste exceptionnel par sa fraîcheur, sa finesse et une certaine modernité est à juste titre considéré comme l’un des trésors de la collection. Si le portrait dégage de prime abord une sensation de réalisme, un regard plus attentif permet de distinguer des éléments idéalisés tels que les sourcils, les yeux et le nez. Ces derniers contrastent nettement avec des traits plus individualisés de cette jeune fille comme le menton et la bouche. Un mélange des genres caractéristique de l’art romain.
L’une des particularités de la collection est son goût prononcé pour l’art hellénistique, c’est-à-dire la production postérieure à l’art grec classique. Ce satyre est typique de ce style avec son sens du mouvement, la légèreté de son sujet et la souplesse de sa composition. Le caractère très expressif du visage ainsi que la sensualité de sa pose sont emblématiques de ce courant très séduisant.
Parmi ces statues exclusivement en marbre, ce grand bronze détonne. En réalité, les collectionneurs n’ont pas modifié leur politique d’acquisition car la seule œuvre en métal de la collection n’a pas n’a été achetée, mais découverte lors des fouilles entreprises par les Torlonia au XIXe siècle. Ce Germanicus a été mis au jour sur leur propriété située sur l’emplacement de l’ancienne cité antique de Cures.
Les Torlonia ont manifesté un vif intérêt pour les genres proprement romains à commencer par l’art funéraire. Le sarcophage, objet qui s’impose à partir du IIe siècle de notre ère, constitue un type d’œuvre particulièrement intéressant car il est le support d’un puissant renouvellement iconographique. Il est orné de scènes biographiques originales, à l’image du centurion Lucius Peregrinus représenté au centre sous les traits d’un intellectuel et son épouse telle une muse.
Rares sont les œuvres antiques à être parvenues jusqu’à nous sans bénéficier de plusieurs campagnes de restauration. Le Bouc de la collection Giustiniani, statue rachetée par les princes Torlonia au XIXe siècle, a eu l’honneur d’être restaurée par Le Bernin, l’un des plus grands sculpteurs italiens. Son intervention est visible dans la différence de traitement entre la tête de l’animal et son pelage, très usé.
Si aujourd’hui les copies sont dépréciées, ce n’était pas le cas dans les siècles passés, a fortiori concernant les copies d’originaux grecs disparus. Cette statue d’Hestia, la seule réplique complète connue à ce jour, était ainsi le fleuron des Giustiniani, une des plus prestigieuses collections romaines. Ce grand marbre figurait parmi les œuvres incontournables à admirer durant le Grand Tour au XVIIIe siècle, elle a ainsi été abondamment dessinée et a, à son tour, servi de modèle à des créations modernes.
Si les portraits en buste et les statues en pied sont la signature de la collection, d’autres objets sont mondialement connus, à l’image de ce spectaculaire vase. Fleuron de la collection Cesi dès le XVe siècle, il se distingue par sa taille impressionnante – 1,8 mètre de haut – et surtout par sa grande qualité d’exécution et le souci du détail apporté aux drapés et aux musculatures. Objet de luxe, il devait à l’origine orner le jardin d’une prestigieuse villa romaine.
À l’instar des autres grandes familles aristocratiques romaines, les Torlonia ont collectionné avec ferveur les bustes des empereurs antiques. Cet engouement s’explique autant par la mode du portrait romain et le goût des séries, que par un désir de légitimation sociale reposant sur l’idée d’une filiation historique entre ces figures antiques et les nobles contemporains. Ces effigies étaient également recherchées pour leur qualité exceptionnelle d’exécution et leur rendu anatomique incomparable.
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La beauté des marbres antiques de la collection Torlonia
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : La beauté des marbres antiques de la collection Torlonia