Rarement exposée en Europe jusqu’à il y a peu, l’artiste américaine Kiki Smith (née en 1954) est mise à l’honneur avec cette exposition lausannoise qui balaie quarante années de création dédiées au corps, essentiellement féminin : fragments corporels comme échappés d’un livre d’anatomie; figures nues moulées en bronze ou en papier mâché; travail minutieux et sans tabou autour de la peau et des fluides corporels ; dessins ou sculptures d’organes.
Smith puise dans le répertoire narratif de la mythologie, des contes et de la Bible, tandis que l’art médiéval lui fournit une grande partie de son inspiration – ainsi, son imposante série de tapisseries qui se réfère à la tapisserie de L’Apocalypsed’Angers ou le nu s’échappant des entrailles d’un loup de l’œuvre Rapture (2001), qui évoque la légende de sainte Geneviève. Au fil de l’exposition, cette figure féminine, d’abord fragmentée, parfois le double de Kiki Smith elle-même, se dévoile entière et autonome : elle s’insère dans le cosmos et accentue son rapport à l’animalité et à la nature, s’accompagnant d’oiseaux et d’animaux sauvages. Le travail, qui s’aventure enfin dans le champ du paranormal, est dominé par la pensée féministe et rend hommage aux femmes en marge – sorcières ou voyantes. Loin d’être cependant un manifeste, cette œuvre polymorphe aux portes d’entrée multiples ne cesse de déranger et de dérouter, mais sans réellement questionner le visiteur, invité à cheminer sur le sentier tortueux des obsessions intimes et souvent illisibles de l’artiste.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Kiki Smith, le corps dans tous ses états
