Jasper Morrison ou la science de l’objet

Pour preuve : en 1988 – il n’a alors pas 30 ans –, invité à donner une conférence à l’Istituto Europeo di Design, à Milan, il éteint tout simplement le micro et lance, devant un public médusé, un long diaporama d’objets triés sur le volet, qu’il déroule en silence : « I decided not to say anything ! » Cette philosophie, le designer anglais l’applique mordicus depuis trois décennies. S’il ne s’exprime pas, ses objets parlent amplement pour lui, comme en témoigne cette vaste rétrospective, sa première, intitulée « Thingness » et déployée dans l’ensemble des écuries du Grand-Hornu, à Hornu (Belgique). Le dispositif scénographique, concocté en duo par Jasper Morrison lui-même avec le designer suisse Michel Charlot, est simple et ultra-efficace. Quatre podiums-étagères en bois de forme triangulaire et extrêmement bien dessinés accueillent, sur les niveaux bas ou intermédiaires, les meubles, objets et autres produits finis, puis, sur les niveaux hauts, en forme de cimaises, les photographies, textes et autres cartels. Bref, le parcours est d’une clarté égale aux lignes que produit Jasper Morrison depuis trente ans. Ses créations sont légion et rangées de manière chronologique, chacune sur son « podium » respectif : les années 1980, 1990, 2000 et 2010. Depuis sa première table haute baptisée Handle Bar Table (1984), qui tient debout grâce à une étrange paire de… guidons de vélos, jusqu’à son tout nouveau luminaire Superloon (Flos), dévoilé en avril dernier au Salon du meuble de Milan, se lit une esthétique rigoureuse d’où le superflu est exempt. En point d’orgue de l’exposition, on peut voir, et c’est un délice, une projection de la fameuse conférence « muette » auparavant citée, dont le titre reste on ne peut plus explicite : « A World Without Words ». Pour qui n’aurait pas encore bien compris…