Designer, lauréat du prix Isamu Noguchi

Jasper Morrison : « Le bon design c’est le minimum de design possible »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2015 - 716 mots

Adepte d’une esthétique « Super Normale », le designer anglais Jasper Morrison, 56 ans, a décroché en mai le prestigieux prix américain Isamu Noguchi et présente jusqu’au 13 septembre, à Hornu, en Belgique, sa première rétrospective.

Dans cette exposition intitulée « Thingness », vous montrez en fait très peu le processus d’élaboration des objets préférant, au contraire, exhiber quasi uniquement les produits finis. Pourquoi ?
Certains designers, je pense par exemple à Konstantin Grcic, trouvent qu’il est très important de montrer des prototypes. Pour moi, un prototype constitue juste un moyen de faire avancer un projet. Il n’est qu’une étape intermédiaire d’un travail. Il représente toujours une « mauvaise version » d’un objet. Cela m’est donc très pénible d’en exposer. Je n’y trouve aucun intérêt.

Lors de l’élaboration d’un objet, à quel moment s’arrête votre réflexion ?
Lorsque l’entreprise fabrique le moule.

Avez-vous une préférence pour un matériau en particulier ?
Non. Le bois est fantastique, le plastique efficace, l’acier utile. Ce qui est intéressant, c’est de les assembler en trouvant la bonne combinaison.

Depuis une dizaine d’années, une discipline que d’aucuns ont baptisée « design-art » a fait son apparition. Le design est-il de l’art ?
Non, cela n’a rien à voir. Le design comporte énormément de contraintes. L’art, lui, peut se permettre beaucoup plus de libertés.

Vous militez en faveur d’un design « Super Normal ». Qu’est-ce que c’est exactement un objet « Super Normal » ?
Un objet « Super Normal », c’est par exemple un objet que vous utilisez très régulièrement dans votre vie quotidienne, sans qu’il ait quelque chose de spécial. Vous l’utilisez presque machinalement, sans vous poser de questions.

Qu’est-ce qui fait un « bon » objet ?
C’est LA question. Je passe moi-même des journées entières à chercher une réponse. Un bon  objet doit être à la fois utile, efficace, confortable (dans le cas d’un siège), compétitif côté prix et avoir une longue durée de vie. Comme en cuisine, il s’agit de trouver le bon  dosage entre tous ces ingrédients. Avoir un beau look n’est pas la priorité.

Peut-on parler de beauté pour un objet ?
La beauté, pour un objet, est la manière dont l’objet s’exprime par lui-même. Certes, les objets n’ont pas d’âme. Il n’empêche, on peut avoir avec eux une relation forte. C’est la relation qu’un utilisateur tisse avec un objet qui fait sa beauté.

Quelles sont les personnalités du monde du design qui vous ont le plus fortement influencé ?
Je citerai en premier Eileen Gray. Lorsque j’étais jeune, ce fut la première exposition qui m’a marquée. J’ai immédiatement apprécié son œuvre, alors que je ne connaissais, à l’époque, pas grand-chose au design. J’aime aussi beaucoup Le Corbusier, parce qu’il a été le premier à réunir ensemble des objets simples pour créer une atmosphère. Il a ainsi réussi à donner de la qualité à une ambiance. Il y a également une ribambelle de designers italiens que j’estime comme Achille Castiglioni, Enzo Mari, Vico Magistretti ou Ettore Sottsass, quelques Japonais, sans oublier l’Allemand Dieter Rams qui, dans les années 1970, avait notamment institué Les Dix Grands Principes du Design. J’apprécie tout particulièrement le dixième et dernier de ses principes : « Le bon design est le minimum de design possible. »

Y a-t-il un « style Jasper Morrison » ?
Bien au contraire, j’espère ne pas en avoir. J’essaye d’ailleurs éviter tout style. Mon seul but est de tendre vers l’essentiel, le naturel. Tenter de créer une bonne atmosphère sans imposer un style justement.

Vous n’aimez pas trop parler en public et semblez privilégier une communication à travers les livres. Pourquoi ?
Je me trouve très mauvais en public. Je n’aime pas parler en public, encore moins de mon propre travail. Je ne raconte que des bêtises et cela me rend malheureux. Je préfère de loin les textes et les livres. C’est ma manière de communiquer. L’an passé, j’ai fait paraître chez Lars Müller Publishers The Good Life : Perceptions of the Ordinary (un ouvrage réunissant une série de photographies et de textes sur des conceptions vernaculaires que le designer a compilés au cours de ses divers voyages et autres observations quotidiennes, NDLR). Actuellement, je travaille sur un nouveau livre qui présentera une sélection d’objets de la vie quotidienne provenant des collections du Musée d’Ethnologie de Lisbonne. L’ouvrage devrait sortir à la fin de cette année.

JASPER MORRISON, THINGNESS

Jusqu’au 13 septembre, au Centre d’innovation et de design du Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, 7301 Hornu (Belgique), rens. : 32 (0) 65 65 21 21 ou www.cid-grand-hornu.be.

Légende photo
Vue de l'exposition de Jasper Morisson. © Photo : David Marchal.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Jasper Morrison : « Le bon design c’est le minimum de design possible »

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