En écho au Festival Normandie impressionniste, le musée parisien présente une exposition à la rigueur approximative et au positionnement ambigu.
PARIS - C’est la troisième fois que la Normandie consacre son été à l’impressionnisme sous toutes ses formes, même les plus inattendues. L’édition 2016 du Festival Normandie impressionniste a pour thème le portrait, étendant son offre des « Femmes en Dior » (Musée Christian Dior de Granville) au land art à Jumièges (« Jumièges à ciel ouvert »), en passant par la présentation de documents inédits de la famille Hugo à Villequier. Le slogan du festival « Tous impressionnistes » ne peut mieux résumer la situation. Cette année, la manifestation s’offre une tête de pont à Paris, au Musée Jacquemart-André, élargissant sa profession de foi à « Tous Normands ». Ainsi l’exposition « L’atelier en plein air, les impressionnistes en Normandie » annonce la présence d’œuvres de Turner, Boudin, Monet, Renoir, Gauguin, Pissarro, Caillebotte, Signac…, ce qui peut déjà brouiller les pistes. S’il est clair que ces peintres ont aimé travailler en plein air et ont été liés à la Normandie, les commissaires considèrent-ils réellement qu’ils sont tous des impressionnistes ? Dans les huit petites pièces où sont présentées les quarante œuvres constituant l’exposition, la question n’est jamais posée…
Problèmes de dates
La première salle montre que les priorités sont ailleurs avec son thème sur « Les échanges franco-anglais et la naissance de l’école de la nature ». Y est développé le postulat qui refuse, pour l’impressionnisme, la traditionnelle « chronologie courte, qui débutait en 1863 avec le Salon des refusés et se terminait en 1886 avec la 8e Exposition impressionniste. [Une] approche [qui] accordait un rôle déterminant à Paris et à l’Île-de-France, mais fort peu à la province et aux influences étrangères. » Ici le risque est de laisser croire que les historiens de l’impressionnisme dédaignent les liens de cette école avec la province ou ignorent l’influence de Turner sur la génération impressionniste – et même les suivantes.
Le catalogue ouvre par un chapitre titré « La Normandie, berceau de l’impressionnisme », sous la plume de Jacques-Sylvain Klein, co-commissaire de l’exposition. Ce proche de Laurent Fabius l’a convaincu de créer le « Festival Normandie Impressionniste ». On y apprend par exemple que, « dès la fin des guerres napoléoniennes, les peintres anglais reviennent en masse en Normandie. Parmi eux, Turner et Bonington qui écument la région […] » Or, en 1815, Richard Parkes Bonington avait 13 ans et, s’il a en effet traversé la Manche en 1817, ce n’est pas pour l’attrait irrésistible pour la région natale de Nicolas Poussin, mais dans les bagages de son père qui s’installait en France pour ses affaires. Ce fut à Calais, où le jeune Richard devint l’élève de l’aquarelliste Louis Francia, puis à Paris. Quant à Turner, il a profité de la paix pour emporter ses pinceaux en voyage à Venise, en 1819, avant de glorifier les paysages de la Loire, lors de son voyage de Nantes à Orléans en 1826. Il ne fait cependant aucun doute que les ciels changeants, les grasses campagnes et les falaises majestueuses de Normandie ont inspiré les peintres anglais et français du XIXe siècle. Pourquoi ne pas dire simplement aux visiteurs que, de passage en Normandie, les aquarellistes anglais y ont poursuivi leur travail sur le paysage ; tandis que les artistes parisiens, dont plusieurs étaient originaires de la région, profitèrent de la proximité entre la capitale et la Normandie – et du tout nouveau confort procuré par le chemin de fer – pour y attirer des camarades ? Claire Durand-Ruel Snollaerts, l’autre commissaire de l’exposition, justifie la présence de peintres précédant l’impressionnisme dans cette première salle : « Nous expliquons comment, progressivement, la peinture en plein air est arrivée en France sous l’influence anglaise. Les impressionnistes n’étaient pas les premiers à peindre en extérieur : ce sont Corot, Isabey, Géricault, etc. » Finalement, entre les deux parties de son titre, l’exposition penche pour le plein air. En réalité, on a vite le sentiment que son véritable thème se résume par l’attachement que portaient des peintres du XIXe siècle pour la Normandie : la Normandie et ses plages fréquentées par la haute société (thème sous lequel sont réunis Boudin, Degas, Courbet, Monet, Morisot) ; la Normandie et ses falaises (Pissarro, Gauguin, Gonzalès…), sa Côte d’Albâtre (Morisot, Monet, Courbet…), etc. donnant à la présentation un faux air d’album de cartes postales.
Une pertinence contestable
Pour autant, le public semble ravi par la démonstration. Les visiteurs questionnés en trouvent « la scénographie agréable » et s’avouent sensibles au « charme des impressionnistes », sans être dérangés par le fait qu’une partie des œuvres présentées ne relève pas de cette école. On a plaisir il est vrai à voir Plage de sable en Normandie de Bonington, La Côte près de Dieppe de Renoir, L’Entrée du port de Cherbourg de Morisot, les magnifiques et déjà fauves Barques de pêche, Honfleur de Monet ou le spectaculaire Pont de pierre à Rouen d’Angrand. Cependant, la nécessité de l’exposition n’apparaît pas. Elle semble vite montée, sur des à-peu-près, pour servir de vitrine parisienne au Festival Normandie impressionniste. Claire Durand-Ruel Snollaerts le réfute : « C’est une exposition indépendante et nous avons mis deux ans à l’élaborer. Nous avons proposé ce sujet à Jacquemart-André avec Jacques-Sylvain Klein et le musée avait une disponibilité dans son agenda cette année. Nous n’avons pas choisi le créneau, mais nous avons pensé que ce n’était pas plus mal, parce que nous ouvririons le bal du Festival Normandie impressionniste, sans empiéter sur le thème de cette année, la figure. »
C’est pourtant une œuvre consacrée à la figure qui symbolise le mieux la confusion de l’exposition, les Petites paysannes se lavant à la mer, vers le soir de Degas, que l’on a déjà pu voir à Paris, mais qui reste fascinante. Certainement pas peintes en plein air (on voit mal Degas, déjà peu friand de l’exercice, sortir précisément son chevalet sur la plage pour immortaliser des jeunes filles nues), et malgré le soleil couchant, ces baigneuses qui semblent danser, mystérieuses et sauvages, sont beaucoup plus une préfiguration du dernier Cézanne et de Matisse qu’un manifeste impressionniste.
Commissaire : Claire Durand-Ruel Snollaerts,
et Jacques-Sylvain Klein, historiens de l’art
Nombre d’œuvres : une quarantaine
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Jacquemart-André dans le flou impressionniste
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 25 juillet, Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 39 94,
www.musee-jacquemart-andre.com, mardi-dimanche10h-18h, lundi 10h-20h30, entrée 12 €. Catalogue, 32 €.
Légende Photo :
Pierre-Auguste Renoir, La Côte près de Dieppe, 1879, huile sur toile, 49,5 x 60,6 cm, Kasser Mochary Foundation, Montclair, New Jersey. © Photo : Tim Fuller.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Jacquemart-André dans le flou impressionniste