LENS
À travers 250 œuvres et objets, le Louvre-Lens retrace les origines des créatures imaginaires, de l’Antiquité à nos jours.
Lens (Pas-de-Calais). Avez-vous déjà vu un dragon ? Si ce n’est pas encore le cas, peut-être devriez-vous vous rendre au Louvre-Lens… Car depuis peu, ils ont élu domicile au sein de l’institution pas-de-calaisienne, aux côtés de nombreuses autres bêtes fantastiques. Au seuil de l’exposition, c’est le squelette d’une petite chimère, animé au moyen de fils et d’un moteur par la compagnie théâtrale Cendres la Rouge et prêté par le Muséum d’histoire naturelle de Paris, qui accueille les visiteurs par de furieux petits cris. Licornes, griffons, phœnix…, autant de créatures mystérieuses qui, depuis des millénaires, peuplent les croyances et les arts des êtres humains.
C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elles ont attiré l’attention du musée. Salle après salle, les œuvres, disposées de façon chrono-thématique et dans une scénographie colorée, en attestent, à commencer par la figurine du démon mésopotamien Pazuzu, prêtée par le Louvre. Pour Hélène Bouillon, commissaire de l’exposition – et directrice de la conservation, des expositions et des éditions du Louvre-Lens –, les animaux fantastiques naissent il y a 6 000 ans, bien souvent au Proche-Orient ancien, sous l’apparence de démons ou de créatures mythologiques. Symboles des peurs de l’humanité face au déchaînement des éléments, aux forces de la nature, ils font l’objet de tentatives de domptage répétées. Ces batailles mettant en scène un héros ou une divinité sont ici illustrées dans de précieux ouvrages, mais aussi par des représentations picturales, comme l’impressionnant Thor combattant le serpent Midgard de Henry Fuseli.
Peu à peu, ces mythes s’amalgament dans la Bible. Les œuvres exposées, à l’image de la sculpture en bois de la Grand’Goule de Poitiers, vaincue par sainte Radegonde, montrent comment l’ère chrétienne donne une dimension morale aux combats contre les animaux fantastiques : des combats dits « sauroctones », menés par des saints tueurs de dragons.
Au fil du temps, les animaux fantastiques sont ramenés du monde réel vers nos seules imagination et psyché. Le Siècle des lumières puis l’apparition de la psychanalyse favorisent ce changement. D’abord symboles des peurs et des fantasmes des peintres (à l’époque, ils sont en majorité des hommes redoutant la femme fatale, comme le montreLa Sirène repue, signée Gustave Adolphe Mossa), les animaux fantastiques deviennent ensuite les métaphores des normes alternatives, grâce à leur hybridité. Le cow-boy chevauchant une licorne de Will Cotton se trouve, par exemple, au cœur des questionnements actuels sur le genre.
Le lien avec les arts contemporains, et surtout avec la culture populaire, est tissé tout au long de l’exposition. Quatre bancs d’écoute proposent ainsi seize morceaux, du classique à la musique de film, et une bibliothèque de romans de fantasy (Terry Pratchett, J. K. Rowling…) est mise à disposition du public. Preuve de la transversalité de l’animal fantastique, la réutilisation de figures ancestrales est également mise en valeur à travers le démon assyrien Pazuzu, précédemment cité, grand méchant du film L’Exorciste de William Friedkin et de la bande dessinée de Jacques Tardi Le démon de la tour Eiffel.
Même si beaucoup de créatures manquent à l’appel, tels le loup-garou ou le yeti, il faut admettre qu’une seule exposition ne peut couvrir l’intégralité du bestiaire de notre histoire. Précisément, s’il existe toujours autant d’animaux fantastiques à notre époque, c’est bien que l’on a besoin d’eux. L’exposition du Louvre-Lens démontre que ces créatures renvoient avant tout à un merveilleux perdu que l’humanité n’a eu de cesse de rechercher, jusqu’à aujourd’hui, à travers l’art.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Invasion d’« Animaux fantastiques » au musée