Il est des expositions qui vous transportent par l’intelligence et la fluidité de l’accrochage.
À cet égard, « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » est une réussite. Constitué de 255 œuvres de 134 artistes sélectionnés dans la collection du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, le parcours emprunte son titre à la nouvelle éponyme de Stefan Zweig publiée en 1927. Le visiteur pourrait croire à un prétexte pour relire l’exceptionnelle collection du musée, riche de plus de 20 000 œuvres. C’est bien plus que cela. De l’éveil matinal jusqu’à la nuit, dix salles en enfilade évoquent autant d’instants quotidiens vécus par de multiples figures féminines. La mère de famille, l’ouvrière, la noctambule… sont saisies, et c’est tout le paradoxe, par une majorité de regards masculins. Dans ce voyage sensible à travers deux siècles d’histoire de l’art, le dialogue des œuvres est réjouissant : ici, la forme d’un pain rond qui se répète d’une toile à une photographie, là, des échos de couleurs, ailleurs, des ambiances et fictions suggérées par la scénographie. Devant une Femme épluchant des légumes, peinture d’André Fougeron, trône une chaise en formica, typique de l’après-guerre, du même jaune vif que celui retenu pour le fond de la toile. Autour du thème du repos, un divan de Jean Prouvé, splendide pièce moderniste en tôle pliée évoque l’atmosphère bourgeoise, sous un Portrait de Mme Faure-Peyret, réalisé un siècle plus tôt par Gabriel Tyr (mort à Saint-Etienne en 1868). Signé de ce même artiste, un petit paysage écrasé par la chaleur est accroché sous un soleil provençal, représenté par un disque d’or d’Anna-Eva Bergman. Aurélie Voltz, la commissaire et directrice générale du musée, a déniché de véritables trésors, tel ce splendide portrait Art déco de Jean Dunand, réalisé à la laque, tempera et feuille d’or. Le parcours se termine dans une quasi-pénombre, avec l’humour noir de Ben et son Suicide-kit, des tirages de René-Jacques et Walker Evans et les fascinantes abstractions d’André Valensi.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°723 du 1 mai 2019, avec le titre suivant : Instants féminins, regards masculins