Tandis que les romans et nouvelles de Joris-Karl Huysmans (1848-1907) entrent aujourd’hui dans la Bibliothèque de La Pléiade [sous la direction d’André Guyaux et de Pierre Jourde, Gallimard, 1 856 p., 73 euros].
Le Musée d’Orsay consacre une exposition à l’activité de critique d’art de l’écrivain. Par ce choix de mettre en avant un écrivain plutôt qu’un peintre, Orsay rappelle que les avant-gardes du XIXe siècle, dont il a la garde, ne seraient pas devenues ce qu’elles sont sans les textes d’écrivains comme Huysmans, et que le siècle de l’impressionnisme et du naturalisme fut aussi celui de l’âge d’or de la critique d’art. Cette exposition s’inscrit d’ailleurs dans la continuité des expositions dédiées à Apollinaire et à Fénéon, programmées à deux pas de là, au Musée de l’Orangerie, et à Tristan Tzara à Strasbourg, où l’exposition Huysmans ira le 3 avril 2020. Des années 1870 à ses derniers textes, Huysmans a donc régulièrement écrit sur l’art, la peinture moderne bien sûr, mais aussi, à la fin de sa vie, les primitifs. Ceci explique le sous-titre de l’exposition d’Orsay, « de Degas à Grünewald », les prépositions « de » et « à » évoquant un parcours construit selon l’évolution du goût de l’auteur d’À rebours : les peintres aimés (Degas, Manet, Caillebotte, Redon, Grünewald…) et ceux honnis (Bouguereau, Pelez, Puvis de Chavannes…). Malheureusement, l’exposition parvient tout juste à effleurer ce goût : trop courte et, sans doute, trop taiseuse. Le manque de « textes », de lettres, de livres et de cartels pédagogiques peine à incarner Huysmans, à définir ses partis pris et, au final, à identifier les goûts complexes du critique. La scénographie confiée au plasticien Francesco Vezzoli n’aide pas à rendre plus clair le propos. À l’exception de la Tortue de soirée, sculpture qui donne un corps à celle imaginée par Huysmans dans À rebours, les œuvres du plasticien italien embrouillent le visiteur. Reconnaissons tout de même à Vezzoli une bonne idée : le papier peint photographique qui reproduit dans la deuxième salle de l’exposition l’intérieur de la villa de l’écrivain Gabriele D’Annunzio, dont la décoration avait été inspirée par la lecture d’À rebours.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Huysmans effleuré