LENS
En assumant des partis pris simples et efficaces dans son propos et sa scénographie, le Louvre-Lens rend accessible à tous l’exploration de ce monument littéraire que sont les épopées de l’“Iliade” et de l’“Odyssée”.
Lens (Pas-de-Calais). Les quatre commissaires d’« Homère », présenté au Louvre-Lens, n’ont pas succombé aux sirènes de l’érudition prétentieuse et c’est tant mieux. Face à un sujet aussi connu du plus grand nombre, grande peut être la tentation d’obscurcir le propos pour séduire leurs pairs. Il n’en est rien et il y a beaucoup de bonnes leçons à tirer de cette exposition.
D’abord une littéralité assurée. L’imaginaire familier créé par l’Iliade et l’Odyssée est illustré au pied de la lettre, si l’on peut dire. Les commissaires ont sélectionné quelques épisodes de la guerre de Troie (la colère d’Achille ; la mort de Patrocle) et du périple d’Ulysse (les sirènes ; son retour à Ithaque) relatés dans les textes homériques. Puis ils ont puisé dans l’imagerie que les artistes ont donnée au cours des siècles pour illustrer ces épisodes.
C’est précisément ici que se joue une partie du succès de l’exposition. Plutôt que de recourir uniquement aux vases grecs ou aux bas-reliefs antiques, ce qui aurait été possible « tant la production comportant une iconographie homérique est abondante », rappelle le co-commissaire Alexandre Farnoux, directeur de l’École française d’Athènes, il a été décidé de montrer également des œuvres postérieures à la période hellénistique.
Ce faisant, « Homère » fait coup double. D’une part l’exposition se rend attrayante : il y a en effet plus à voir, au moins de prime abord, dans un tableau pompier que dans un vase à figures noires. D’autre part elle montre la puissance d’inspiration de ces textes dans le temps. Mieux, en accrochant de manière rapprochée deux tableaux d’un peintre différent pour un même thème, par exemple Rubens et Henri Regnault pour « Thétis recevant les armes d’Achille », elle invite les regardeurs à comparer les deux représentations, ce qui est le plus sûr moyen d’entrer dans un tableau en excitant sa curiosité.
Et pour mettre en confiance les visiteurs les moins savants, les commissaires n’ont pas hésité à projeter des péplums ou exposer des bandes dessinées et des caricatures humoristiques. Ce recours hardi au 7e et au 9e art, qui tend cependant aujourd’hui à se généraliser, n’est pas ostentatoire. Ces œuvres s’insèrent naturellement dans le déroulé, aux côtés de tableaux très visuels voire d’objets exceptionnels prêtés pour certains par d’autres institutions que le Louvre.
Si le nombre d’œuvres est important – 250 –, le visiteur ne se sent pas écrasé par l’effet d’accumulation, signe d’une scénographie réussie. Il est vrai que les lieux s’y prêtent. L’immense salle rectangulaire, dans le même esprit que la galerie du Temps, n’a pas été compartimentée à l’excès. Passé deux salles introductives, l’une peuplée de statues de dieux (des copies, c’est l’une des rares fautes de goût), l’autre sur le « mystère Homère », le visiteur embrasse d’un seul regard toute l’étendue de l’exposition. Ayant pris ses marques, il peut à la fois organiser son temps comme il l’entend et choisir son circuit, matérialisé par une ligne au sol colorée et des sections également caractérisées par des cimaises de couleur différente. Les deux grandes allées latérales, l’une consacrée à l’Iliade et l’autre à l’Odyssée, bordent une rue centrale qui sollicite davantage l’attention car elle interroge la postérité d’Homère. Nul silo ne vient enfermer la déambulation, il est possible de passer à loisir d’une allée à l’autre.
Et le texte ? ce monument de la littérature antique qui a tant influencé la pensée et les arts occidentaux ? Le réflexe naturel aurait été d’en reprendre des extraits sur des panneaux de salle, au risque de lasser. Ici l’astuce a consisté à mettre à disposition des morceaux choisis sur de simples feuilles que les visiteurs peuvent emporter. Une invitation à la découverte de cette écriture simple et puissamment évocatrice qui soutient le récit des aventures de ces héros de leur enfance.
Tous ces dispositifs sont le fruit d’un travail collaboratif entre quatre commissaires issus d’horizons différents. Outre Alexandre Farnoux, ce sont : l’écrivain et cinéaste bien connu Alain Jaubert ; Luc Piralla-Heng Vong, directeur adjoint du Louvre-Lens, et Vincent Pomarède, administrateur général du Louvre. « Chacun avait ses désirs et devait composer avec les autres ; au final l’alchimie a bien fonctionné », relève Alexandre Farnoux. On confirme.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : « Homère », les clefs d’une exposition didactique réussie