Premier repère dans cet embarquement, les fanions flottant aux mâts de la goélette Mercator amarrée au centre d’Ostende. Ils orientent le vent soufflant sur les douze sites investis par les cent vingt artistes qui rendent hommage à Jan Hoet. Vent régulier, vent contraire, bise, rafale, tous les courants circulent autour du thème fédérateur, la mer.
Elle est à la fois l’immense étendue qui borne la plage déserte en cette saison et le vaste sujet où naviguent avec des fortunes diverses les trois cents œuvres présentées. Du coquillage au cordage, le flux et le reflux ont déposé trésors, poncifs et déchets pris dans les filets. Le circuit commence dans les espaces blancs de l’ancien magasin coopératif « de Coo », devenu, en 2008, musée où voguent de conserve, parmi des dizaines d’autres tableaux et installations, une vague signée Courbet, une carte noyée d’îles et de caps tirée de l’atlas imaginaire de Wim Delvoye, des mouettes gracieuses lâchées par Roy Liechtenstein, le Brick au clair de lune fixé sur une photo sépia par Gustave Le Gray, l’Argonaute de plomb édifié par Anselm Kiefer, les régates bretonnes de Maurice Denis et six toiles de James Ensor, le maître local venu en voisin. Seconde escale de la croisière, la Grande Poste, désormais centre culturel. Le promeneur découvre le caisson lumineux du Canadien Rodney Graham étalant un gardien de phare lisant. Ce cabotage libre de toute boussole conduit ensuite les pas vers le cinéma Capitole, port confié à Bill Viola dont la vidéo The Arc of Ascent fait émerger de l’eau un corps spectral. Un autre havre invite le visiteur à voir sous les ex-voto de l’église des Capucins deux petites lunes en marbre de James Lee Byars. Au bout de la colonnade des Galeries royales évoquant un embarcadère sont réunis des photos, des marines, un cabestan et un curieux pédalo fabriqué en 1994 par Panamarenko, conçu peut-être pour franchir la mer du Nord ! Le passager de cette odyssée rêve enfin devant le cadre vide du triptyque de Van Eyck, L’Agneau mystique, sobre structure en métal installée sur la digue par l’artiste conceptuel belge Kris Martin. Elle ouvre une fenêtre sur le large et les interrogations.
Face à la diversité et à l’abondance des œuvres, la question se pose : quels ont été les critères de sélection ? L’idée de départ appartient à Jan Hoet, historien fervent d’art contemporain, organisateur de Documenta IX : montrer comment l’art depuis 1850 interprète la mer. Le fil rouge est « la ligne de marée ». Partisan des « expositions sans frontières » et d’un « musée sans murs », Jan Hoet lance le projet au cours de 2013, mais il décède en février 2014. Famille et amis reprennent le sillage. D’où ces croisements inédits et ces interactions curieuses. Déposer devant la lumineuse Océanie, la mer de Matisse quelques poutres, même bien agencées, signe-t-il un nouveau manifeste d’esthétisme ? Le fait d’accrocher Selinunte de Nicolas de Staël près de La Grande Casserole de moules de Marcel Broodthaers suscite-t-il l’émotion ? Deux fois non.
À défaut d’engager de complexes conversations d’ensemble, il faut nouer des dialogues directs avec les voiliers de Boudin, Picabia et Jongkind, la Dune de Toorop, les Vertiges de Spilliaert, The Night Flight des Kabakov, les petits tas de sel de Jan Fabre. Selon le souhait de Jan Hoet, « cette exposition est aussi insaisissable qu’une vague ». Rien de plus vrai. Reste donc à lever l’ancre pour que le vent pousse le plaisir jusqu’aux horizons merveilleusement peints par Turner et Gerhard Richter.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Grand pavois pour Jan Hoet
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Mu.Zee et autres lieux, Ostende (Belgique), www.dezee-oostende.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : Grand pavois pour Jan Hoet