Glorieux ancêtre

Le Plateau sous le parrainage de Robert Filliou

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2002 - 704 mots

Souhaitée comme
la première véritable exposition du Plateau,
après son inauguration
en janvier dernier, « Premiers mouvements – fragiles correspondances » place le lieu sous le parrainage de Robert Filliou. Autour d’une quinzaine d’œuvres du fondateur de la « République géniale », une douzaine d’autres artistes ont été
invités à formuler un écho
aux recherches de leur aïeul.

PARIS - Robert Filliou est un parrain idéal pour le nouveau centre d’art du Plateau. Disparu en 1987, le fondateur de la “République géniale” représente tout ce qu’une démarche artistique peut avoir de généreux, d’ouvert et de public –  “création permanente, réseau éternel et fête permanente”, pour reprendre ses concepts clefs ! Annoncée avant même l’ouverture du lieu, la monographie de Robert Filliou n’en est toutefois pas une, elle tient en fait lieu de noyau central à une proposition plus vaste. Titrée “Premiers mouvements – fragiles correspondances”, celle-ci annonce clairement le caractère programmatique de la chose. Seules deux salles sont véritablement consacrées à l’artiste. Dans celles-ci, la logique d’un travail comme jeu, et de l’art comme une pensée (la composition emblématique de Work as Play – Art as a Thought, 1973) s’y déploie, du Portrait de l’artiste : bien fait, mal fait, pas fait, qui élève au cancre la figure du créateur en le coiffant d’un chapeau de papier, au Poï Poï Bottles (1961-1970), en passant par la grande loterie à performance de Danse poème aléatoire collectif. Datée de 1962, la pièce, constituée de deux roues à trois pales, tire au sort une action à réaliser, enjoignant le visiteur à rentrer dans la ronde.

Mais pour l’heure, autour de la quinzaine d’œuvres de Filliou présentées, ce sont les artistes qui y sont entrés. Les thématiques abordées à partir des années 1960 par Filliou étant suffisamment répandues aujourd’hui, il a été facile d’éviter le piège de l’illustration ou de l’hommage. Formellement, les écarts sont souvent importants. Le contraste entre la projection Eye/Machine (2001) d’Harun Farocki et le Video Games signé en 1980 par Filliou ne peut que provoquer un sourire. Là où l’un, par le biais du montage numérique, déconstruit la pensée militaire inhérente aux systèmes de représentation informatiques, le deuxième avec le strict nécessaire (carton, punaises et bois) signe une satire prémonitoire des loisirs du nouveau millénaire. Enfin, dans la grande tradition Fluxus, les Acolytes de l’Art signent des gestes engageant une économie minimale de l’échange et du don.

Mais, contre toute attente, ce n’est pourtant pas une œuvre de Robert Filliou qui ouvre l’exposition du Plateau. Une Barre de bois rond d’André Cadere a été posée dans le hall d’entrée. Où faire l’art, et où le montrer ? En tant qu’institution naissante, le Plateau ne manque pas de reprendre à son compte les questions jadis posées par les déplacements de Cadere. On bouge d’ailleurs beaucoup ici. Très “boy-scout”, Hans Jürg Kupper a marqué le territoire en réalisant des collages photographiques à partir de ses balades dans le XIXe arrondissement. Quant à Marie Legros, elle a posé son objectif dans une gare parisienne,  lieu d’échanges entre centre et périphérie. Enfin, dans Monde parallèle, Santiago Reyes joue avec un support photographique en accordéon pour faire cohabiter deux instants différents dans la même image. Encore plus scolaire, Till Roeskens souligne la nature fragmentaire et temporelle de ce médium.

De façon plus heureuse, l’architecture du lieu est également concernée par ces “premiers mouvements”. Dans un bref rappel historique, un moniteur diffuse Sous-sol de Paris et Conical Intersect, deux films de la fin des années 1970 où Gordon Matta-Clark s’attaque aux constructions, les traversant littéralement ou métaphoriquement de part en part. La démarche de Francisco Ruiz de Infante n’en est pas très éloignée. Intégrant un circuit vidéo aussi énigmatique que vertigineux, son installation, titrée 3 5=8 mètres en tout, s’appuie sur la hauteur du plafond. D’estrades en paliers, le visiteur est embarqué dans une construction en bois qui donne à voir les caves du bâtiment et ses faux plafonds. Un envers du tableau qui aurait sûrement plu à Filliou.

- PREMIERS MOUVEMENTS – FRAGILES CORRESPONDANCES, jusqu’au 1er juin, Le Plateau, angle de la rue des Alouettes et de la rue Carducci, 75019 Paris, tél. 01 53 19 88 10, tlj sauf lundi et mardi, 14h-19h ; samedi et dimanche 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : Glorieux ancêtre

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