PARIS
Plus de 30 ans après celle organisée en 1988, le Centre Pompidou consacre une nouvelle rétrospective à l’œuvre de l’artiste. Une exposition très attendue qui réunit plus d’une centaine de tableaux majeurs de ce peintre français mondialement reconnu.
C’est le titre de l’autobiographie que Gérard Garouste publie en 2009, livre touchant dans lequel l’artiste révèle certaines facettes intimes de sa vie, en tant que « fils », « peintre », « fou ». Entre rage et désir d’expiation, Garouste cherche par les mots à éclaircir les origines de son passé et de son histoire, à se libérer de l’horreur que lui inspire son père, marchand de meubles antisémite qui spolia les biens de juifs déportés en 1940. Tout comme il nous révèle, dans ce récit, ses nombreuses crises de délire, ses dépressions et séjours en hôpital psychiatrique. Soutenu par l’amour de sa femme, aidé par une psychanalyse, Garouste a su tenir à distance ses « démons ». Il a trouvé la force de devenir peintre, trouvant dans la création un moyen de survie et une source de connaissance de lui-même. S’inspirant tantôt de ses propres délires métaphysiques et mystiques, tantôt des grands mythes universels, l’œuvre de Garouste chemine entre réel et fantastique, tout comme elle reflète une permanente obsession des origines.
Dans les derniers tableaux peints par Garouste, on retrouve ce qui était déjà là dans les prémices. Tout est dit, dès le commencement, de l’intérêt porté aux grands textes. Ce dont témoigne la rétrospective parisienne, divisée en deux parties : le rapport de l’artiste aux mythes et aux histoires puis, avec l’étude de la Bible, du Talmud et de l’hébreu, l’attention portée aux mots, à leurs jeux et interprétations. Psychanalyse, kabbale, récits bibliques, Kafka, Cervantès, Rabelais, Goethe, Dante : Gérard Garouste a toujours aimé se confronter aux mythes et aux symboles enfouis. Enfant dyslexique, lunaire, le peintre a pris sa revanche sur l’école où il n’excellait guère, lui préférant les contes et les légendes. C’est dans les grands textes qu’il puise son inspiration : « Si la peinture a enchanté mes doigts, ce sont les livres qui ont nettoyé ma tête […]. Pour créer, je pars des mots, jamais des images. » Ce qui l’intéresse dans ces sources, c’est le mythe, dans ce qu’il a d’universel et d’intemporel. L’on retrouve dans ses toiles énigmatiques, faites d’associations d’idées, un désir de démonter les images et les mots. Un désir d’interroger « ce qui ne se dit pas », ce qui « touche au plus profond de l’individu ».
Quand Gérard Garouste sort des Beaux-Arts, au début des années 1970, c’est l’époque des conceptuels. Mais ça ne l’intéresse clairement pas de suivre le chemin de l’avant-garde, de l’iconoclasme et de la destruction. Ce qu’il entend, lui, c’est construire et renouer avec la peinture. « Je ne voulais pas d’une peinture nostalgique, je voulais déjouer l’avant-garde avec mes pinceaux et mes couleurs. » Gérard Garouste se fixe donc des règles, celles de la peinture à l’huile. Pour mieux les « enfreindre » et « refaire une belle partie ». Il s’intéresse au sujet plus qu’au style, se plaît à raconter des histoires, à jouer avec les sens et les émotions. Déjouant le mythe du nouveau, Gérard Garouste ne s’est pas privé de renouveler et ses sujets et ses techniques, grâce à l’apport de ses prédécesseurs. Nombreux sont les anciens et modernes qui ont nourri sa peinture, du Gréco à Tintoret ou Poussin, de Cézanne et Picasso à De Chirico ou Magritte. Pas de plagiat, pas de passéisme, simplement un dialogue, une transmission : hériter pour mieux s’éloigner, et créer une œuvre qui soit sienne
L’« instrument » de prédilection de Garouste, certes, c’est la peinture. Mais l’artiste ne se prive pas, « comme dans un orchestre », du plaisir de passer d’un instrument à un autre. Le peintre est aussi sculpteur, graveur, illustrateur, auteur, metteur en scène ou décorateur. Ce dont rend compte en partie la rétrospective de Beaubourg qui montre, aux côtés des peintures, des installations et des sculptures. Des sculptures dont on mesure, des plus anciennes aux plus récentes, l’évolution mais aussi la permanence des liens forts qu’elles entretiennent avec la peinture : ainsi, par exemple, des sculptures réalisées dans les années 1980, qui résonnent avec le sujet des peintures de l’époque, comme le mythe de Cerbère ou le « Classique et l’Indien ». Tout comme l’univers onirique et étrange de la peinture de Garouste qui se déploie dans l’espace réel à travers les installations monumentales et les dispositifs théâtraux, entre anamorphoses, fausses tapisseries et labyrinthes. Sorte de grand œuvre, aux formes insaisissables, dans lequel le spectateur est invité à pénétrer, entre sens caché et révélation, mensonge et vérité.
Dans la galerie des enfants au Centre Pompidou, l’exposition « Le grand atelier de la Source » a été conçue dans l’esprit des ateliers pratiqués au sein de l’association La Source, créée par Garouste en 1991. Artistes invités et enfants de l’association y ont réalisé des créations et des jeux. Un espace ludique et interactif dans lequel tout enfant visiteur pourra intervenir. L’association, ce que Gérard Garouste nomme sa « seconde œuvre », constitue ce qui est pour lui le plus important : la transmission. Orchestrée par des artistes invités et destinée aux enfants défavorisés, La Source est née de la conviction que rendre accessible la création peut contribuer à lutter contre l’exclusion sous toutes ses formes. « Je sais que l’art ne peut sauver le monde, mais je sais qu’il contamine les désirs et éveille l’amour-propre ». Le but de cette association n’est pas de former des artistes mais de favoriser l’imaginaire et les ressources créatives des enfants pour les aider à surmonter leurs difficultés personnelles. Transmettre pour éveiller leur sensibilité, dans la perspective d’en faire des êtres de désir.
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Gérard Garouste au kaléidoscope
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Gérard Garouste au kaléidoscope